La nouvelle édition de la foire américaine d’Art Basel a mis en lumière une programmation copieuse et revitalisée, qui marque un point de bascule dans l’augmentation significative de participants. Zoom.
Cette 22e itération d’Art Basel Miami Beach, dirigée pour la première fois par Bridget Finn, marchande d’art et galeriste américaine, a vu plus grand que les années précédentes. Au total, près de 290 galeries ont été représentées, issues de 38 pays et territoires, la plupart d’Amérique du Nord et du Sud. Une trentaine d’exposants ont fait leur entrée, dont certains directement dans la section principale, tels Gallery Baton (Séoul), Pearl Lam Galleries (Hong Kong, Shanghai), Gallery Wendi Norris (San Francisco) et Tim Van Laere Gallery (Anvers, Rome). Pour Bridget Finn, il s’agit de « la plus grande cohorte de nouveaux venus » depuis seize ans, qu’ils viennent des Amériques, d’Europe ou d’Asie.
Depuis sa création en 2002, cette foire américaine réaffirme ainsi sa place dans la galaxie Art Basel, pour une semaine riche en expositions, en événements, en performances et en projets spéciaux, à Miami et dans le sud de la Floride.
PLACE À LA MONUMENTALITÉ
Le plus grand changement opéré lors de ce volet américain se situe sans doute du côté de « Meridians », qui a su réinventer les stands traditionnels des foires d’art. Jusqu’ici, cette section, consacrée aux oeuvres à grande échelle, était installée dans un espace cloisonné du Miami Beach Convention Center. Cette année, elle était au coeur de l’action, en dialogue avec deux autres sections. Une stratégie menée par la nouvelle commissaire d’exposition, Yasmil Raymond, anciennement directrice de la galerie Portikus Frankfurt, rectrice de l’université des beaux-arts Städelschule et conservatrice entre autres du Museum of Modern Art de New York.
À Miami, elle a mis en lumière 18 projets dont l’ambition est de changer l’art par l’art. Son édition intitulée « State of Becoming » a ainsi sondé « les contingences inattendues de la démocratie et l’anxiété sans cesse décuplée par le changement climatique ». Plusieurs artistes de renommée internationale, comme Alice Aycock, Rachel Feinstein et Franz West, ont donné leur vision. On pouvait également revoir l’installation du Péruvien Roberto Huarcaya, déjà exposée à la 60e Biennale de Venise (Acumen no 45), avec ses grands rouleaux photosensibles arborant des images de la forêt amazonienne. Tout comme celle, tentaculaire, de Zhu Jinshi, qui faisait partie de la délégation chinoise. Son oeuvre, présentée par Pearl Lam Galleries, est composée de 16 000 feuilles de papier suspendues audessus d’une armature de bambou et de coton.
On retient aussi l’immense sculpture de l’artiste vietnamodanois Danh Vo, un drapeau américain composé de bûches empilées et peintes, soutenue par White Cube. De même que la broderie gigantesque, cousue à la main par le collectif argentin Chiachio & Giannone. Cette pièce, montrée par Ruth Benzacar Galeria de Arte, rend hommage à la communauté LGBTQIA+ et à la culture indigène guarani. Toutes les oeuvres de cette section étaient destinées aux collections publiques.
AU COEUR DE LA FOIRE
Comme de coutume, « Galleries », le secteur principal d’Art Basel Miami Beach, a placé la barre haut grâce à plus de 200 marchands d’art moderne, contemporain et d’après-guerre des Amériques et d’ailleurs. Plusieurs exposants ont présenté les oeuvres de près de 4 000 artistes dans quatre autres secteurs de la foire. La Helly Nahmad Gallery a notamment fait la part belle à des maîtres du XXe siècle, comme Kandinsky, Basquiat, Calder, Dubuffet, Picasso, Ernst, Léger, Fontana et Miró.
De son côté, la Martos Gallery a mis en avant le travail de six artistes des années 1980, qui ont marqué « un tournant politique, social et culturel ». À l’exemple de Keith Haring, pionnier du street art, de Michel Auder, photographe et cinéaste expérimental associé à la Factory de Warhol, et de Kathleen White, membre de la scène downtown, amie et muse de Nan Goldin.
On n’hésite pas non plus à mentionner les peintures de Paul Cadmus, présentées par la galerie DC Moore – cet artiste new-yorkais du XXe siècle utilisait des techniques de la Renaissance pour créer ses nus masculins d’avant-garde –, ou encore celles de Judith Eisler basées sur ses photographies de scènes cinématographiques figées, recadrées et recontextualisées.
PRÉSENTATIONS THÉMATIQUES
Dans la lignée, la section « Kabinett » était consacrée aux expositions thématiques collectives, à l’histoire de l’art et aux présentations personnelles. Plus d’une vingtaine d’accrochages ont été présentés. Hirschl & Adler Modern a notamment mis en lumière les peintures et les oeuvres sur papier des années 1940 de l’expressionniste abstrait américain Franz Kline, dans un rare aperçu de son processus de base. La Galerie Lelong & Co a montré des sculptures en marbre et en bronze peu connues de Zilia Sánchez, figure singulière du modernisme latino-américain et de l’abstraction géométrique. Quant à Sies + Höke, la galerie a mis à l’honneur l’installation paysagère abstraite du Costaricien Federico Herrero. Créée pour la foire et inspirée des structures urbaines de sa ville natale de San José, elle est composée de toiles murales et d’une peinture au sol.
ARTISTES ÉMERGENTS ET JEUNES GALERIES
L’espace « Nova », dédié aux jeunes galeries exposant des oeuvres créées au cours des trois dernières années, n’a pas été dénué de belles propositions. En atteste Gallery Vacancy, qui défend les voix des jeunes talents. Son nom énonce déjà son ambition : un espace « en attente d’accomplissement par des artistes dans une approche cross-média ».
Henry Curchod illustre cela avec ses peintures monumentales et ses installations sculpturales, axées sur le récit. De même pour Michael Ho, qui travaille avec les mythes. Cet immigré d’origine chinoise, né aux Pays-Bas, sonde les notions de diaspora en utilisant des images d’archives comme base de ses oeuvres. Ses scènes de jungle denses occupent ainsi la surface de la toile, superposées de motifs issus de ses expériences et de son héritage culturel.
Du côté de la section « Positions », vouée aux galeries et aux artistes émergents, les choix ont été tout aussi judicieux. À l’exemple des peintures de l’artiste maya cakchiquel Paula Nicho Cúmez, déjà exposées à la 60e Biennale de Venise. Ses oeuvres, défendues par la galerie Proyectos Ultravioleta, s’inspirent de ses rêves et font référence à son patrimoine et à la mémoire. Il s’agit de paysages naturels peuplés de figures féminines dont les motifs mayas des vêtements deviennent la peau.
On cite également l’installation The Secret Life of Flowers de Julieta Tarraubella, qui fonde sa pratique sur les méthodologies de la production audiovisuelle entre vidéo, photographie, sculpture et performance. Cette série est réalisée à partir du principe de surveillance des fleurs à l’aide d’un circuit fermé de caméras de sécurité. L’artiste argentine étudie ainsi le dialogue et la relation entre la vie des fleurs, l’espace qu’elles habitent et la réflexion avec les êtres qui les entourent.
De son côté, la Galeria Estação a fait le choix d’accueillir un éventail diversifié d’artistes aux parcours éducatifs variés, comme le Salvadorien Aurelino dos Santos qui, sans savoir ni lire ni écrire, raconte le monde dans ses peintures.
ENQUÊTES CURATORIALES
On termine avec la section « Survey », centrée sur les oeuvres créées avant l’an 2000 dans le but d’élargir la compréhension du canon conventionnel de l’histoire de l’art. Deux exposants ont fait découvrir le travail d’artistes femmes surréalistes françaises : d’abord avec l’exposition de peintures de la méconnue Jacqueline Lamba à la galerie Weinstein, puis avec la présentation théâtrale de photographies et de livres originaux de Claude Cahun à la galerie Alberta Pane.
La galerie Eric Mouchet a présenté, pour sa part, des oeuvres du Sud-Africain Kendell Geers, qui aborde la violence sociale et l’inhumanité de l’apartheid. Le travail de Linda Kohen a tout autant capté notre attention. Cette peintre uruguayenne d’origine italienne, qui a émigré à Montevideo
en passant par Buenos Aires après avoir fui la persécution juive en Italie, a montré une série de réflexions dessinées en constante évolution sur l’oeuvre de sa vie.
L’ART ENVAHIT MIAMI
Conjointement à cette 22e édition, l’art s’est étendu dans le sud de la Floride à travers la Miami Art Week, les foires satellites, les musées et les collections privées. À Wynwood, quartier du street art, la collection Margulies a présenté des grandes oeuvres de Roy Lichtenstein, Louise Nevelson et Isamu Noguchi. Le NSU Art Museum à Fort Lauderdale a également exposé les oeuvres de nombreux artistes, avec entre autres 1 800 photographies de Joel Meyerowitz, récemment acquises.
Autre événement intéressant, PhotoMIAMI. Cette toute nouvelle foire internationale est la seule axée sur la photographie contemporaine et a déployé sur deux jours sa sélection pendant la Miami Art Week.
De son côté, Design Miami continue de faire valoir le potentiel illimité de l’innovation, du mobilier et des objets de collection. Il en va de même pour Untitled Art, situé sur la plage de South Beach, qui remet en question les notions traditionnelles de créativité sous l’angle de l’art contemporain.
On prolonge encore un peu plus cette richesse artistique floridienne en clôturant avec le concours « Complet », qui transforme les hôtels en vitrines d’art contemporain, invitant le public à se plonger dans des installations in situ d’artistes locaux.
ART BASEL MIAMI BEACH 2024
DU 4 AU 8 DÉCEMBRE 2024
ARTBASEL.COM