Marguerite Duthuit, l’ombre lumineuse de Matisse

Dans l’atelier lumineux d’Henri Matisse, entre les éclats de couleurs et les silences suspendus, Marguerite Duthuit apparaît en filigrane. Muse, collaboratrice, résistante, la fille aînée du maître est au cœur d’une exposition inédite au Musée d’Art Moderne de Paris, dévoilant un lien filial où l’art et la vie s’entrelacent avec une intensité rare.

Henri Matisse, Marguerite endormie, Crédit : Collection particulière / © Martin Parsekian

Dans l’univers vibrant de Matisse, la figure discrète de Marguerite Duthuit se dessine en creux, habitant ses toiles avec une force silencieuse. L’exposition « Matisse et Marguerite : Le regard d’un père », présentée jusqu’au 24 août 2025 au Musée d’Art Moderne de Paris, invite à redécouvrir l’œuvre du peintre à travers le prisme de cette relation essentielle, longtemps restée dans l’ombre.

Née en 1894 d’une liaison entre Henri Matisse et son modèle Caroline Joblaud, Marguerite grandit au sein d’une famille soudée, partageant son enfance avec ses demi-frères Jean et Pierre. Très jeune, elle devient une « gosse d’atelier », attentive et disponible, véritable témoin des tourments et des triomphes de son père. Marquée par une trachéotomie précoce dont elle dissimulera la cicatrice sous un ruban noir – attribut devenu emblématique dans ses portraits – elle prête son visage et son regard profond aux recherches plastiques du peintre, avec une patience et une bienveillance rares.

Dans des œuvres emblématiques telles que Marguerite au chat noir (1910) ou Tête blanche et rose (1914), Matisse capte bien plus qu’un visage : il saisit une part de lui-même. À travers Marguerite, il semble atteindre cette fusion entre peintre et modèle qu’il appelait de ses vœux, et que peu d’artistes ont su approcher avec une telle authenticité. Les portraits de Marguerite, traversant plusieurs décennies, témoignent d’une intensité émotionnelle et d’une franchise bouleversantes.

L’exposition, organisée de manière chronologique, retrace cette relation profonde, de l’enfance de Marguerite jusqu’aux épreuves de la Seconde Guerre mondiale. On la découvre tour à tour enfant sage dans Intérieur à la fillette (1905), jeune fille songeuse dans Marguerite lisant (1906), adolescente fière dans les portraits de Collioure, avant qu’elle n’apparaisse, au fil des années, comme une femme élégante et résiliente. Les œuvres dévoilées – plus de 110 pièces, certaines inédites en France – révèlent la constance et la complexité de cette muse unique.

Au-delà de son rôle de modèle, Marguerite fut aussi une collaboratrice essentielle. Mariée à l’écrivain Georges Duthuit en 1923, elle s’éloigne des tableaux tout en restant au cœur de la carrière de son père. Elle organise des expositions, supervise les tirages de gravures et travaille d’arrache-pied à l’élaboration d’un catalogue raisonné. Redoutablement exigeante, elle devient l’interface incontournable entre Matisse et le monde de l’art.

Henri Matisse, Marguerite lisant, crédit: Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix

Son destin bascule pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle entre en Résistance. Arrêtée, torturée par la Gestapo, elle survit aux pires épreuves avec une dignité farouche. Ce courage silencieux bouleverse Matisse, dont les derniers portraits de Marguerite en 1945 expriment une tendresse et une douleur contenues d’une poignante beauté. Ces dessins et lithographies, exposés dans la dernière salle du parcours, résonnent comme un testament d’amour filial et artistique.

À travers lettres, photographies d’archives, œuvres de Marguerite elle-même et documents inédits, l’exposition révèle enfin l’ampleur du rôle qu’elle joua non seulement dans l’univers familial mais aussi dans la pérennité de l’œuvre de son père. Le tout est enrichi d’un catalogue de recherches approfondies, préfacé par Barbara Duthuit, et d’une biographie de Marguerite signée par Isabelle Monod-Fontaine et Hélène de Talhouët.

En parallèle, une expérience de réalité virtuelle autour de La Danse de Matisse permet aux visiteurs de prolonger leur immersion dans le monde du peintre, tandis que des ateliers pédagogiques accueillent familles et enfants dans un espace créatif dédié.

Avec cette rétrospective inédite, le Musée d’Art Moderne de Paris offre à Marguerite Duthuit la lumière qu’elle mérite, en rendant hommage à une femme qui fut bien plus qu’une muse : un pilier, un moteur, un souffle silencieux dans la tempête créative de l’un des plus grands artistes du XXᵉ siècle.

Matisse et Marguerite. Le regard d’un père
Du 4 avril au 24 août 2025
Musée d’Art Moderne de Paris
11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris

www.mam.paris.fr

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