Inspiré d’une tragédie de l’Espagne franquiste longtemps tenue secrète, Dos Madres est un premier film aussi onirique que bouleversant.
Premier film de fiction de Víctor Iriarte, homme de cinéma connu en Espagne pour ses multiples casquettes (journaliste, producteur et programmateur de festival), Dos Madres a pour point de départ un fait de société aussi peu connu que terrifiant. Sous l’Espagne franquiste, près de 300 000 enfants furent ôtés à leur mère par les autorités à leur naissance, et déclarés mort-nés. Enlevés à des familles considérées comme républicaines, les enfants étaient ensuite placés dans des orphelinats catholiques ou simplement confiés à d’autres familles. L’idée étant d’alimenter les théories idéologiques et sans fondement scientifique du psychiatre militaire Antonio Vallejo-Nájera, qui associait des prétendus « gènes communistes » à la déficience mentale.
Dos Madres aurait ainsi pu être un film social, ou un de ces films dits « à thèse », dont l’intérêt premier réside en la découverte d’un fait historique méconnu. Mais un tel film existe déjà : cette affaire dite « des enfants perdus » a en effet eu une grande résonance au début des années 2000 en Espagne lorsque fut diffusé à la télévision le documentaire Les enfants perdus du franquisme de Ricard Belis Garcia.
De son titre original Sobre todo de noche (« spécialement pendant la nuit »), Dos Madres est davantage un film d’images et d’ambiance. Chaque plan semble le fruit d’un riche travail de composition, et Víctor Iriarte nous fait suivre le chemin d’une mère à la recherche du fils qu’elle n’a pas connu à la manière d’un labyrinthe. Ce qui peut sembler paradoxal, tant le film fait la part belle aux cartes.
Dans sa magnifique scène d’ouverture, on voit ainsi se succéder plusieurs cartes routières ou bien de navigation, de nomenclatures et d’époques différentes, tantôt de Madrid, tantôt d’Amérique du Sud. Une main indique des lieux et des routes. Cette main porte au poignet deux montres, comme s’il fallait en permanence connaître l’heure sur plusieurs fuseaux horaires – ce qui nous indique au passage que nous sommes avant l’ère du numérique, du téléphone et de Google Maps.
Le spectateur arpente la fiction que construit Víctor Iriarte comme un jeu de piste dans lequel on se demande sans cesse où tout cela va nous mener. Ce n’est pas vraiment un film dossier. Pas tout à fait un film d’aventure, en dépit de ce que ces cartes promettent. Ni vraiment un film de casse, même s’il est question, dans la deuxième partie du film, de dérober dans un musée de Porto quelques dossiers secrets du franquisme qui y seraient cachés. Le film est en réalité à l’image de la citation de Roberto Bolaño qui lui sert de préface, et qui nous annonce que, même si cela n’en n’a pas l’air, ce que nous nous apprêtons à voir est une histoire d’horreur, celle d’un crime atroce. Avec le roman 2666, Bolaño utilisait la littérature pour parler des meurtres de femmes non élucidés à Ciudad Juárez au nord du Mexique. De la même manière, Víctor Iriarte propose une oeuvre dense et énigmatique, cette fois-ci en utilisant les armes du cinéma, pour réveiller un souvenir traumatique du passé de l’Espagne.
DOS MADRES DE VÍCTOR IRIARTE
SORTIE EN SALLES LE 17 JUILLET 2024