Imaginés et produits à Munich depuis bientôt soixante ans, ses luminaires suivent une ligne directrice associant technologie, humour et poésie. Ses créations sont des pièces uniques à vivre et à aimer.

Si Ingo Maurer nous a quittés en 2019, l’équipe qu’il avait réunie perpétue l’esprit de ses créations à l’imagination débordante. Le maître de la lumière demandait à chacun de ses collaborateurs de collecter les objets qu’il trouvait beaux, pour travailler au milieu de ces pièces inspirantes nourrissant leur créativité. « L’union de tous ces objets créait l’idée », se souvient Michel Sempels, qui a oeuvré aux côtés du designer pendant plus de trente ans.

Eclairage du quai et de la zone Park&Ride © Ingo Maurer
Tout a justement commencé avec une idée lumineuse, concrétisée en 1966 par Bulb, une ampoule dans une ampoule, qui a rapidement acquis le statut d’icône du design. Ingo Maurer a souvent raconté son souvenir d’enfant fasciné par la lumière dansant sur les vagues, quand il accompagnait son père à la pêche. Devenu graphiste, il a commencé à dessiner des lampes en privilégiant leur forme, jusqu’à ce qu’il réalise que « l’ampoule était une symbiose fantastique entre l’industrie et la poésie ».
Suivant son propre ressenti, il a dès lors mis l’accent sur la lumière en tant que sensation et émotion. Pour répondre au succès de la Bulb, entrée dans les collections du Musée d’art moderne de New York, le designer allemand a fondé sa société, à Munich, où sont toujours créés les prototypes, et où les pièces sont fabriquées à la main et adaptées à la demande par une équipe d’une soixantaine de personnes. Responsable des événements et des projets spéciaux de la maison, Michel Sempels résume ainsi le credo de celle-ci : « Un luminaire doit être un plaisir à voir. Il doit produire une très belle lumière, mais cela ne suffit pas : si l’objet ne transmet pas d’émotion, c’est raté. Il faut qu’il étonne et donne à sourire. »
Créé en 1994, Porca Miseria! est la parfaite illustration de cette recherche. Plus qu’une suspension, l’oeuvre se présente comme un fantastique objet lumineux en expansion. Quatre personnes sont nécessaires pour monter ce luminaire composé de pièces de service en porcelaine brisées et de couverts, figés dans une explosion cinématographique. La lumière se fraye un chemin à travers les tessons en lévitation, joue avec leur matière translucide et les sculpte à son passage. Seuls 10 luminaires sur mesure sont produits chaque année, adaptés à l’espace qu’ils occuperont et personnalisés au goût de leurs futurs propriétaires, qui peuvent y apporter leur touche personnelle.
Avec Ingo Maurer, l’émotion passe par le jeu. « La lumière a un très grand impact sur notre vie quotidienne. Beaucoup de gens ne se rendent pas compte que la lumière qui les entoure est mauvaise », affirmait le créateur, qui cherchait à « créer une harmonie entre espace et lumière qui plaît aux gens, qui les rend heureux ». Ce besoin de légèreté s’exprime également avec une création marquante de 1992, sa lampe ailée Lucellino, faisant fusionner les mots italiens luce pour la lumière, et uccellino signifiant « petit oiseau ».
Se renouvelant sans cesse, intégrant la technologie LED qui a permis de réaliser des créations monumentales, jouant avec les couleurs de la lumière, l’entreprise ne cesse de relever des défis. Parmi les plus mémorables figure la mise en lumière de l’Atomium de Bruxelles, construit en 1958, pour lequel ont été créés des objets lumineux de près de 2 mètres de diamètre, fidèles à l’esprit futuriste du lieu. Les équipes ont également retenu leur souffle lorsque l’intervention d’un hélicoptère a été nécessaire pour parvenir à suspendre un Golden Ribbon dans la monumentale cage d’escalier d’une belle demeure italienne. Il s’agissait là d’une déclinaison du Paragaudi de 1997, premier modèle de 5 mètres de long conçu pour la Casa Botines, édifiée par Antoni Gaudi à Léon, en Espagne. Pour cette installation, encore plus que pour d’autres, la maquette a fait la différence, afin que la double paroi d’aluminium doré dissimulant les lumières, façonnée à la main comme une carrosserie à l’ancienne, semble flotter entre les étages, soufflée et enroulée par le courant d’air.
Les créations d’Ingo Maurer ne se contentent pas d’interagir avec les espaces qu’elles illuminent : elles sont également toujours en étroit rapport avec leurs utilisateurs. Plusieurs stations du métro de Munich ont été habillées par ses lumières en suivant cette ligne directrice. Pour s’adapter aux tubes lumineux préexistants dans l’une d’elles, le designer et son équipe ont imaginé un alignement de dômes mesurant 5 mètres de diamètre – contre 1,80 mètre au catalogue de la maison –, en utilisant là encore une délicate technique de carrossier. Ingo Maurer considérant qu’un mauvais éclairage influe sur l’humeur des personnes, il a choisi le bleu – une couleur spirituelle qu’aucune autre n’égale selon lui – pour habiller les coupoles et les murs de cette station. Il entendait ainsi libérer les passants du concret de leur quotidien, le temps de leur passage dans ce lieu devenu unique.
Du véritable oeuf de poule devenu lampe Reality, d’où filtre un délicat rayon de lumière à travers une fente géométrique, jusqu’au monumental Broken Egg irradiant de lumière à travers ses fissures, Ingo Maurer aime relever le défi des changements d’échelle, et sait aussi bien parer de poésie l’intimité des appartements que créer l’événement avec de prestigieuses commandes publiques ou privées. Qu’il s’agisse d’un plafond de bougies suspendues évoquant un ciel étoilé ou d’un nuage mouvant de 3 500 feuilles d’argent scintillant sous l’éclairage, l’éventail des créations Ingo Maurer n’a de limites que celles de l’imagination. « Une idée peut surgir de n’importe où », disait l’artiste. Conceptuels, spectaculaires quelle que soit leur taille, toujours subtils, les systèmes lumineux portant son nom transforment la lumière ordinaire en féerie.
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