Rome, la Ville Éternelle, a toujours été un écrin pour l’art, un laboratoire où les avant-gardes viennent s’abreuver aux sources de l’Antiquité. Mais cette fois, la Villa Médici, temple de la création contemporaine, ouvre ses portes à une explosion chromatique inédite. CHROMOTHERAPIA. La photographie couleur qui vous fait du bien, une exposition sous la houlette du facétieux Maurizio Cattelan et du spécialiste de l’image Sam Stourdzé, transforme l’Académie de France à Rome en une vibrante odyssée sensorielle.

Ici, la couleur n’est pas un simple artifice : elle s’impose comme un vecteur d’émotion, une onde bienfaisante qui stimule la rétine autant que l’esprit. Des ocres nostalgiques d’Erwin Blumenfeld aux saturations exubérantes de Hassan Hajjaj, le spectateur se laisse happer par cette déflagration de pigments. Sept chapitres, sept plongées dans une histoire de la couleur, de ses révolutions techniques à ses subversions artistiques.
L’histoire de la photographie couleur, longtemps méprisée au profit du noir et blanc jugé plus noble, est celle d’une conquête. Les autochromes des frères Lumière, en 1907, marquent un premier tournant. Puis viennent les années 1960 et 1970, où l’exploration chromatique explose sous l’impulsion de pionniers comme Guy Bourdin et ses compositions sulfureuses pour les pages glacées de Vogue. La couleur se libère du réel pour devenir un langage à part entière, un artifice assumé et jubilatoire.
Certains photographes en font leur signature, comme William Wegman, qui transforme ses braques de Weimar en personnages stylisés aux poses presque humaines. D’autres, à l’image de Juno Calypso, rejouent les codes esthétiques du glamour pour mieux en dénoncer les injonctions. La couleur devient ici un masque et une arme, à la frontière entre fascination et critique. En filigrane, CHROMOTHERAPIA interroge notre rapport aux images et au prisme coloré à travers lequel nous percevons le monde.
Chaque salle de la Villa Médici devient une scène où la couleur joue sa propre partition. Toiletpaper, le collectif fondé par Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, pousse le surréalisme à son paroxysme, détournant l’iconographie publicitaire en délires visuels. Plus loin, Martin Parr, observateur mordant de la société de consommation, immortalise des cornets de frites trop jaunes, des crèmes solaires fluos et des piscines turquoise, brouillant la frontière entre l’esthétique et le trivial.
La photographie couleur a toujours flirté avec l’excès. Qu’elle soit hyper-saturée, clinquante ou délibérément artificielle, elle capte une vérité autre, une réalité amplifiée qui fait vibrer le regard. À travers des portraits bigarrés ou des paysages aux tons exaltés, l’exposition pose une question fondamentale : la couleur est-elle une simple illusion ou une intensification du réel ?

Il y a dans cette surenchère chromatique un rôle presque cathartique. Comme dans un spa chromatique à la Carlo Scarpa, les teintes nous immergent, nous submergent, nous transforment. On en ressort différent, les rétines encore saturées de ces éclats de pigments qui ont le pouvoir de modeler nos humeurs. Rouge passion, bleu apaisement, jaune exaltation : et si la couleur était une médecine pour l’âme ?
WILLIAM WEGMAN, Ski patrol, 2017, Courtesy Galerie George-Philippe et Nathalie Vallois
CHROMOTHERAPIA est plus qu’une exposition, c’est une invitation à réapprendre à voir, à s’abandonner à la jubilation chromatique. Une plongée dans l’hypnose des teintes vives, dans une poésie visuelle où chaque nuance raconte une histoire. Car après tout, comme le disait Matisse : « Le but de la couleur est de rendre le monde plus heureux. »
CHROMOTHERAPIA – La fotografia a colori che rende felici
Villa Médici – Académie de France à Rome
28 février – 9 juin 2025