L’art et la mode

Où commence l’art, où s’arrête la mode ? L’un comme l’autre cherchent à provoquer une émotion, à bousculer le regard, à donner forme à une idée. Les créateurs observent le monde, le traduisent à leur manière, puis le transforment, jusqu’à ce que la magie opère. À ce moment précis, la mode dépasse sa fonction pour devenir œuvre. Schiaparelli, Zomer ou Balmain l’illustrent avec éclat : leurs collections récentes empruntent au vocabulaire artistique pour troubler, émerveiller et redéfinir les frontières du stylisme.    

Maison Schiaparelli 

Le surréalisme obsède la maison Schiaparelli depuis sa création, et ses inspirations proviennent majoritairement de l’art (Salvador Dali, dadaïsme). Férue d’innovation et d’avant-gardisme, Schiaparelli provoque la sphère mode conservatrice avec une approche du luxe expérimentale. La collection de prêt-à-porter femmes printemps-été 2026 est ainsi agrémentée de pochettes sans anses « main dans la main » – la seule manière de les porter est d’enlacer les doigts en métal doré qui ornent l’accessoire. Le style du directeur artistique Daniel Roseburry est conceptuel : ses vêtements transcendent leur fonction principale pour inviter le spectateur à une réflexion critique. Il crée des couvre-chefs plastifiés et brillants aux formes originales qui changent la silhouette du tout au tout ; les matières deviennent matériaux et interpellent notre regard sur la notion du « désirable/non désirable ». Les collections du créateur échappent au réel : il glorifie l’art d’une autre manière, mettant en avant ses créations sur un podium plutôt que dans un musée. Schiaparelli arrive à créer un moment qui stimule la curiosité et force l’admiration.   

schiaparelli.com

Balmain

Balmain se distingue depuis toujours par une approche différente de la mode, pleine d’audace et d’optimisme, portée par un engagement en faveur de l’innovation. Olivier Rousteing s’inspire de l’héritage prestigieux de la maison de couture pour sublimer ses créations de matières d’exception. À la manière d’un sculpteur taillant la pierre, il façonne ses robes avec minutie : coquillages et pierres ornent la dernière collection, qui semble émerger poétiquement de la plage et de la nature. De loin, les robes serties de coquillages paraissent faites en mailles, et un top un peu froissé donne l’impression que le buste est moulé de sable. La maison de luxe considère chaque matériau comme une matière première à transformer en concept innovant. Seul Balmain nous offre un spectacle dans lequel le vêtement est à la fois sculpture et robe de soirée.   

balmain.com

ZOMER 

Zomer est une marque qui apprécie la démesure, sans considérer la notion du conventionnellement correct. Créé en 2023 par un duo au style coloré – Danial Aitouganov et Imruh Asha –, le label met l’accent sur un lien profond qui existe entre la création et la culture contemporaine, mêlant silhouettes expérimentales, audace et subversion. Il aime défier les principes conventionnels et défendre un esprit créatif, libre et ludique. L’art de Zomer se définit comme une mise en scène spécifique destinée à créer un état particulier. Les deux créateurs aiment jouer avec l’inattendu en déstructurant le réel : les proportions ne sont pas respectées, les propriétés des objets sont ignorées, les messages sont cachés. Leur stylisme simplifie et démocratise la mode, et notamment le luxe, avec une touche d’humour et d’absurde.     

zomerparis.com

HODAKOVA 

Fondée en 2021 par Ellen Hodakova Larsson, la marque suédoise affirme une mode éthique et innovante,  convertissant en accessoires et ornements des matières aux propriétés insolites dans le domaine de la mode. Les objets ordinaires, bien qu’ils puissent être anodins, ont toujours intrigué sa curiosité, et son audace la pousse à redéfinir les codes du conventionnellement correct. La Suédoise couple le principe de durabilité avec l’effet de surprise, contant des histoires fantastiques. La collection printemps-été 2026 détourne ainsi baleines de parapluie, vieux livres, sacs ou ceintures pour créer des pièces qui intriguent autant par le regard que par le toucher : certains objets anciens ou désossés produisent un bruit en raison de frottements, et leur contact inattendu peut surprendre. À travers ce travail, la créatrice conçoit la mode comme une architecture, invitant le spectateur à réinventer sa perception du vêtement.    

 hodakova.com

Maison Margiela 

Margiela reste une marque énigmatique et mystérieuse dont les défilés frôlent la limite entre l’art et la mode, en intégrant des concepts novateurs et des formes imparfaites. Cette année, un accessoire orthodontique suscite la controverse : un objet métallique évoquant les « Four Stitches » – les quatre points de couture emblématiques de la marque –, est inséré dans la bouche des mannequins, maintenant cette dernière ouverte. Le défilé est accompagné d’un orchestre composé uniquement d’enfants, et les mélodies sonnent faux, les accords n’étant pas encore maîtrisés. Perturbante et expérimentale, la musique ne réalise pas sa fonction première. Est-elle censée représenter les cris des mannequins à la bouche ouverte ? Quant à la pièce métallique, aux sens multiples, elle devient un clin d’œil déstabilisant aux valeurs de la maison Margiela : discrétion et mystère.  

maisonmargiela.com

Comme des Garçons 

Comme des Garçons se questionne sur « l’art du beau » et le « goût du moche ». La collection se nomme « After the Dust » (après la poussière). Mais quelle poussière ?… Le caractère artistique dépasse l’esthétisme et la fonctionnalité du vêtement : chaque pièce devient concept. Les silhouettes sont asymétriques, bulbeuses et approximatives, tel un reflet de l’imperfection humaine. Les mannequins semblent revenir de loin, porter le poids de leur passé et avoir subi des mutations. Les tons sont ternes et poussiéreux. Comme des Garçons propose la collection de « l’après » : après un temps de crise, après une guerre, à quoi ressemblons-nous ? On est lourd, déconstruit, puis on se reconstruit, rempli de souvenirs, de nostalgie, d’expériences. Chez Comme des Garçons, la mode véhicule un message, s’éloignant de sa fonction première et invitant le spectateur à une réflexion morale.    

 comme-des-garcons.de

Il n’y a plus de couture ni de cadre, plus de podium ni de musée : seulement des formes, des idées, des gestes. L’art inspire la mode, la mode inspire l’art – jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un. De Schiaparelli à Comme des Garçons, chaque créateur tisse un récit où le vêtement devient symbole, le corps devient matière, et le regard, outil de contemplation. La mode, lorsqu’elle ose, n’habille plus : elle raconte, elle questionne, elle émeut. Et c’est peut-être là que réside sa plus belle œuvre.

Des experiences et une culture qui nous définissent

Ne ratez aucun article

Inscrivez-vous à notre newsletter