Camille Cireddu, Janas des temps modernes

Le nom de cette créatrice vous est peut-être familier. En octobre dernier, Camille Cireddu faisait son entrée à la villa Noailles, sélectionnée parmi les dix finalistes du Grand Prix du jury Accessoires lors du 39e Festival international de mode, de photographie et d’accessoires d’Hyères. C’est là qu’elle a dévoilé « Is Janas », une première collection-manifeste composée de sept créations, où des doigts miniatures en porcelaine s’emparent de la surface du cuir. Rencontre.

À la suite de ses études aux Beaux-Arts de Bordeaux, cette Lorraine d’origine pose ses valises à Bruxelles pour commencer un master en mode à La Cambre. Créatrice de la marque de bijoux brodés « Le mot rose », un nom qu’elle associe au sexe féminin, Camille Cireddu s’est toujours intéressée aux enjeux du féminisme et aux interrogations qu’ils soulèvent. « Lorsque le mouvement #MeToo a pris de l’ampleur, j’ai remarqué que les femmes utilisaient souvent le doigt d’honneur en guise de protestation », explique-t-elle, ajoutant : « Je me suis alors rendu compte que ce geste était un symbole profondément patriarcal, puisqu’il renvoie à un sexe masculin. J’ai eu envie de le détourner afin de me le réapproprier. »  

Symbole de toute-puissance  

Camille Cireddu façonne ainsi des doigts en porcelaine, inspirés des Janas, ces créatures mi-fées, mi-sorcières, veillant sur le sommeil des enfants et préservant l’équilibre entre le bien et le mal. « En m’inspirant de cette légende sarde, j’ai voulu leur conférer un nouveau pouvoir : celui de trancher les doigts de ceux qui ont mal agi. » Bien plus que de simples ornements, ces breloques se transforment en véritables talismans protecteurs. À l’image des costumes portés par les hommes lors du carnaval de Mamoiada en Sardaigne, ornés d’imposantes cloches sur le dos, ces doigts, sublimés par un vernis rouge sang, s’imposent à leur tour pour faire entendre leur présence. « Cette couleur fait écho aux tenues des Janas dans le mythe sarde. Elle représente aussi, pour moi, un héritage féminin puissant, porté par ma mère et mes grands-mères, qui avaient toujours les ongles rouges », confie la jeune femme.  

Si l’héritage culturel de ses origines sardes s’inscrit incontestablement dans les accessoires de sa première collection, Camille Cireddu revendique aussi l’influence du cinéma, et plus particulièrement celui du « giallo », un genre cinématographique italien jonglant entre l’érotisme et l’horreur : « Dans ces films, nous observons une forte objectivation du corps féminin : les femmes, souvent belles, sont tuées. Il y a une fétichisation évidente de leur corps. Ce phénomène me semble particulièrement intéressant à aborder. » Ce qui caractérise le travail de la créatrice, c’est cette volonté d’y insérer une vision critique. 

Le corset aux doigts en porcelaine, présenté à la villa Noailles, puise son inspiration dans les corsets traditionnels des veuves sardes. Ces pièces, brodées à la main, étaient immergées dans un bain d’encre noire lorsqu’une femme perdait son mari, symbolisant son veuvage. Elle devait alors porter ce vêtement tout au long de sa vie, perdant ainsi toute couleur. Cette tradition a profondément marqué Camille Cireddu, qui a voulu traduire visuellement cette réalité tragique. Son corset, par sa structure étriquée, évoque ainsi la dépendance de ces femmes. Une fois veuves, elles perdaient non seulement leur époux, mais aussi toute joie de vivre dans leur existence.  

La minutie au bout des doigts 

Avec quelques mouchoirs, de vieilles chaussettes et un élastique, elle parvenait déjà à créer des vêtements de poupées lorsqu’elle était enfant. « J’ai appris à faire avec ce que j’avais », s’amuse à dire la jeune femme.Cet esprit de la débrouille lui a permis d’imaginer les sept créations de sa collection en alliant la porcelaine et le cuir. « Je voulais créer des accessoires manifestes, pas forcément voués au quotidien, mais pensés comme de véritables sculptures. Des pièces délicates, qui, au-delà de leur esthétisme, portent en elles une histoire. » Camille Cireddu a ainsi renoué avec la broderie, un savoir-faire artisanal qui l’accompagne depuis ses débuts, tout en se formant à la maroquinerie auprès de Keren Haddad, fondatrice de Keriko Studio. Elle confie également avoir voulu recréer l’atmosphère des dimanches de son enfance, lorsque sa grand-mère réunissait ses cousines et elle pour leur apprendre à préparer les pâtes traditionnelles sardes : « J’ai souhaité retranscrire ce même processus avec mes amis, mais cette fois en façonnant des doigts en porcelaine. »

Il y a trois ans, la créatrice a imaginé un sac inspiré des écrits phénoménologiques de la philosophe et chercheuse Camille Froidevaux-Metterie. Dans la continuité de sa première collection, cette pièce-manifeste intègre en son « sein » des objets symbolisant l’indépendance de la femme, comme des clés de voiture, la pilule ou encore une carte de crédit. Camille Cireddu : assurément plus qu’une simple créatrice.  

Des experiences et une culture qui nous définissent

Ne ratez aucun article

Inscrivez-vous à notre newsletter