THE BIKERIDERS ET LE CINÉMA AMÉRICAIN NÉOCLASSIQUE DE JEFF NICHOLS

Sixième film de Jeff Nichols, The Bikeriders, portrait de la culture motarde des années 1960, s’inscrit – comme les précédents longs métrages du cinéaste – dans l’héritage d’un certain cinéma naturaliste américain.


C’est avec Take Shelter (2011), surprenant long métrage dans lequel se mêlent peur de l’apocalypse et drame familial, que l’on a découvert le cinéma de Jeff Nichols. Fils de l’État rural de l’Arkansas, Jeff Nichols puise ses inspirations chez les grands cinéastes américains du paysage. Avec son premier long métrage, Shotgun Stories (2007), il évoque directement La Balade Sauvage de Terrence Malick (1973). Avec Loving (2016), drame sur un couple interracial à l’époque de la ségrégation, il se plait à filmer en plans larges les immenses champs de Virginie. On pense immédiatement aux films de John Ford, influence majeure de celui qu’on peut considérer, avec James Gray, comme l’un des tenants du courant néoclassique du cinéma américain. Malgré tout, le réalisateur s’est autorisé des incursions dans l’héritage Nouvel Hollywood. Avec Midnight Special (2016), il rend hommage aux grands films de science-fiction de Steven Spielberg. Mais dans son cinéma cinéphile, ultraréférencé, il y a toujours une tendresse plus forte pour les grands conteurs de studios que pour les inventeurs de forme.

On aurait tort, alors, de voir dans The Bikeriders, le nouveau film du cinéaste, une réappropriation d’Easy Rider (1969), film symbole de la rupture avec le cinéma conventionnel d’Hollywood. Comme son nom l’indique, The Bikeriders est un film de motards, mais ce n’est pas un road-movie. S’ils font quelques virées, les riders de Jeff Nichols reviennent toujours à leur point de départ, un vieux rade plein de testostérone et d’alcool qui leur sert de QG. Jeff Nichols s’inspire cette fois-ci non pas d’un film, mais d’un livre de photographies de Danny Lyon au titre éponyme. En 1968, le photographe et journaliste américain publie en effet The Bikeriders, étude photographique sur le mode de vie d’un club de motards du Midwest au long des années 1960. De jeunes hommes aussi sales que beaux, intimidants et charismatiques, vêtus de vestes de cuir ou en denim siglées du nom viril de leur club : The Hells Angels, The Outlaws, The Vandals, et d’autres symboles volontairement menaçants (avec un goût particulier pour la croix de fer allemande). Dans le générique de fin de son film, Jeff Nichols nous montre les photographies de Danny Lyon. Mais grâce au long métrage, c’est comme si nous les connaissions déjà, plus vivantes que jamais, habitées par des acteurs dont on ne serait pas surpris de les savoir motards à leurs heures perdues : Austin Butler, Tom Hardy, Norman Reedus et, bien sûr, le fidèle de toujours des films de Nichols, Michael Shannon. Mais plutôt que de se perdre dans le virilisme de ces visages pleins de sueur et d’huile de moteur, Jeff Nichols choisit un angle particulièrement intéressant : raconter ce club de mâles par leurs femmes.

Par l’entremise d’interviews menées par un journaliste-photographe que l’on imagine être Danny Lyon, ces femmes – et l’une en particulier, Kathy, interprétée par Jodie Comer – nous racontent ce monde d’hommes dans lequel elles tentent de trouver leur place. Surtout, à travers elles, le film nous narre comment ces clubs relativement bon enfant, inspirés de L’Équipée sauvage (1953), se sont transformés en gangs mafieux ultraviolents au tournant des années 1960. Avec un film photographique et sa galerie de personnages, The Bikeriders explore en creux la fin des années 1960 et de ses rêves naïfs et illusoires. À la manière des cinéastes classiques, Jeff Nichols raconte ainsi une certaine histoire des États-Unis.

THE BIKERIDERS DE JEFF NICHOLS
SORTIE EN SALLES LE 19 JUIN 2024

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