Yukinori Yanagi, à la lisière de l’humanité

Le Pirelli HangarBicocca à Milan présente pour la première fois en Europe le travail de Yukinori Yanagi, l’un des artistes contemporains les plus éminents du Japon, qui sonde les questions de souveraineté, de mondialisation et de frontières.

©YANAGI STUDIO, Photo Road Izumiyama 

L’œuvre de Yukinori Yanagi est imprégnée de valeurs humanistes. C’est ce que remet en lumière l’exposition du Pirelli HangarBicocca à Milan. Dans les 15 000 mètres carrés de l’institution muséale, sise dans un ancien bâtiment industriel, autrefois une usine de fabrication de locomotives, les curateurs Vicente Todolí et Fiammetta Griccioli présentent des œuvres emblématiques de l’artiste japonais, qu’il recontextualise lui-même à l’ère actuelle. 

Ce diplômé des Beaux-Arts de Musashino à Tokyo et de l’université de Yale a grandi dans un Japon d’après-guerre en pleine transformation et a acquis une renommée internationale au début des années 1990. Ses installations monumentales et in situ interrogent les notions « de souveraineté, de mondialisation et de frontières », mais aussi « l’histoire et le nationalisme japonais ». 

À travers ses œuvres multimédia, vues comme des modèles préconçus d’oppression politique et nationale, il examine ainsi « les systèmes complexes d’imagerie symbolique », qui façonnent « notre compréhension de l’espace et de l’identité ».

©YANAGI STUDIO, Photo Road Izumiyama

Des fourmis et des hommes

En tête de cortège figure The World Flag Ant Farm Project, lauréat du prix Aperto 93 à la Biennale de Venise de 1993. Yukinori Yanagi explore ici le potentiel métaphorique des mouvements des fourmis. Cette œuvre est composée de plusieurs colonies vivant dans des labyrinthes de petites boîtes en Plexiglas, remplies de sable coloré qui forment différents drapeaux. Dans ce nouvel habitat, les fourmis finissent par s’adapter et construire des tunnels, provoquant des fissures qui altèrent les images des emblèmes de chaque pays. Le concept remet ainsi en question le sens et la valeur des frontières entre les nations et les effets de la migration. 

L’exposition présente également Article 9 (1994). Cette installation au sol est constituée cette fois de boîtes en plastique dispersées. Dessus, un texte en néon rouge évoque la clause de l’article 9 de la constitution japonaise de 1946, qui renonçait à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation. Yukinori Yanagi met ici l’accent sur le fameux texte écrit à l’origine en anglais, traduit en japonais, puis retraduit en anglais. Il invite ainsi le spectateur à réfléchir « aux aléas de la communication par le langage et à ses implications dans les arènes nationales et internationales ». 

Face au soleil

Parmi ses œuvres plus récentes, Hinomaru Illumination (2010) est un autre exemple d’un drapeau japonais qui mute progressivement. Le reflet sur l’eau crée ici une illusion qui change son image. Il passe de l’emblème militaire du Japon d’avant-guerre (Kyokujitsuki) au drapeau actuel du Japon (Nisshoki), puis à un soleil noir marqué par une éclipse solaire totale, en écho à la mythologie du pays du Soleil-Levant. 

Sous un autre regard, Icarus Cell (2008), première partie de cinq autres qui forment l’œuvre Hero Dry Cell, est une installation qui s’inspire du labyrinthe du roi Minos, où Icare et Dédale ont été emprisonnés. Ce long couloir en fer commence par une projection vidéo du Soleil, avec un ensemble de miroirs inclinés qui crée une chaîne de reflets. Les visiteurs parcourant ce chemin sont à la fois attirés par cet astre du jour et désorientés par les effets de miroir. L’idée est de rechercher la lumière, tout en échappant au labyrinthe des vaines promesses contemporaines. 

©YANAGI STUDIO, Photo Road Izumiyama

Raviver des lieux abandonnés

Cette exposition au Pirelli HangarBicocca offre ainsi différents parcours immersifs qui sondent les trajectoires et les mondes que l’artiste japonais a créés. Au-delà de ses œuvres, Yukinori Yanagi entreprend parallèlement des projets de constructions culturelles et d’art public, mettant l’accent sur le patrimoine industriel, l’architecture, l’art et l’environnement. 

En 2012, il a ainsi fondé Art Base Momoshima, un centre d’art contemporain situé sur la petite île de Momoshima au milieu de la mer intérieure de Seto, en rénovant un ancien collège et un cinéma des années 1950. Le musée expose ses œuvres et celles d’artistes de renommée internationale. 

À Inujima, petite île artistique au large d’Okayama, il a transformé une ancienne raffinerie de cuivre locale en centre d’art moderne, toujours dans cette volonté de redynamiser les espaces abandonnés. Le musée Inujima Seirensho, conçu par l’architecte Hiroshi Sambuichi, présente ainsi certaines de ses installations qui traitent des effets de la modernisation.

©YANAGI STUDIO, Photo Road Izumiyama

« YUKINORI YANAGI »
PIRELLI HANGARBICOCCA
VIA CHIESE 2, MILAN (ITALIE)
DU 23 MARS AU 27 JUILLET 2025

pirellihangarbicocca.org

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