Malaury Valck et Constance Landureau : LA NUIT LEUR APPARTIENT 

Pour ce dossier spécial, François Berthier retrouve Malaury Valck et Constance Landureau, les deux actrices principales de son premier long métrage, La nuit n’en finit plus, actuellement en recherche de distribution, pour une discussion à bâtons rompus autour du cinéma. 

François Berthier : Quel est votre premier rapport au cinéma ? 

Constance Landureau : Pour moi, le cinéma, c’est plus une histoire familiale qu’une sortie. Petite, je n’allais pas forcément au cinéma, mais on regardait beaucoup de films à la maison. On achetait des DVD, on regardait des films avec mes parents, mes frères, ou j’en regardais même seule. Impossible de me souvenir du premier film que j’ai vu, parce que j’ai l’impression d’en avoir toujours regardé, même avant d’en avoir vraiment conscience. Donc, c’était tout le temps, tous les jours. Impossible d’en choisir un. Il y en a trop. En fait, je regardais souvent les mêmes films en boucle, c’était mon quotidien. Du coup, je n’ai jamais eu cette idée du cinéma comme une sortie exceptionnelle, c’était juste quelque chose de normal, un rituel quotidien.
Malaury Valck : Pareil, très peu de sorties cinéma, pour des raisons familiales. Mais nous, on téléchargeait les films plutôt que de les acheter. D’ailleurs, je le fais encore… Non, je ne peux pas dire ça (rires).

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma ?

Constance : Au début, je ne savais même pas que ça pouvait être un métier. Pour moi, le cinéma, c’était juste des films qu’on regardait, un produit fini. Et un jour, ma mère m’a dit que si j’en avais envie, je pouvais peut-être jouer dans les films. Alors, j’ai commencé à chercher des castings. Ça s’est fait assez naturellement. À 13 ou 14 ans, j’ai passé mon premier casting pour un film de Michael Haneke. Je ne l’ai pas eu, évidemment, je n’avais aucune expérience. Mais c’est comme ça que j’ai trouvé mon agence, que j’ai commencé à faire des castings, et que j’ai découvert que ça me plaisait. J’adorais écouter et suivre les indications d’un réalisateur.

Malaury : Moi, quand j’étais petite, je jouais toujours la morte dans ma chambre. C’était mon truc. Je m’inventais des scénarios d’aventures, et à la fin, je mourais à chaque fois (rires). Mais ce qui m’a donné envie de faire du cinéma, c’est la musique. De base, je fais du piano, j’écris des morceaux, et en créant de la musique, j’imaginais toujours des scènes, des histoires. À un moment, la musique ne me suffisait plus : il fallait que je crée aussi des images, des scénarios. C’est comme ça que je me suis tournée vers le cinéma.

Qu’as-tu retiré de ton passage à la fac de cinéma ?

Malaury : La fac, c’est un bon endroit pour se faire des contacts, mais pas pour se construire professionnellement dans le cinéma. Si je n’avais pas été dans un atelier à côté, je n’aurais jamais touché une caméra en trois ans. Disons que la fac est une excuse pour rencontrer des gens, mais l’apprentissage, tu le fais ailleurs.

Ce qui t’intéresse, c’est surtout l’écriture ?

Malaury : Oui. Et la création en général, mais vraiment tout. J’adore aussi les costumes, par exemple.

Alors comment es-tu devenue actrice ?

Malaury : Parce que je t’ai rencontré (rires).   

Nous avons tourné mon premier long métrage autoproduit, La nuit n’en finit plus, à Biarritz, avec une super équipe et des acteurs formidables, comme Daria Maltseva, Jeanne Dumons, Clotilde Mesureur, Armand Liotti, Roman Tabet-Gourier, Dorothée Deblaton, Christelle Gribonval et Bastien Philip.

Comment ça s’est fait pour vous ?  

Malaury : Comme j’aime bien toucher à tout, j’ai postulé comme costumière pour un court métrage sur lequel tu étais chef opérateur [le technicien en charge de l’image, ndlr]. C’était un tournage très éprouvant pour tout le monde, et ça nous a rapprochés, avec Coline aussi, l’assistante réalisatrice de La nuit n’en finit plus, et Ben, ton chef électricien. Au bout de quelques jours, tu m’as proposé de venir passer le casting pour ton film, La nuit n’en finit plus. Je me suis dit que tu étais fou, parce qu’avec le chaos du tournage, on n’était pas vraiment dans notre état normal. C’était la première fois qu’on me proposait quelque chose comme ça. Je crois que j’ai toujours eu tendance à laisser les choses venir à moi. En vrai, je ne me suis jamais dit que j’étais actrice, même pendant le tournage de notre film. C’est encore quelque chose qui me fait peur.

Constance : À la base, on devait faire un court métrage. C’est un film sur le passage à l’âge adulte, l’histoire de deux copines – Léa jouée par Malaury et Pauline interprétée par moi – qui partent en vacances, et qui vont expérimenter un peu tous les questionnements qui peuvent passer par la tête de jeunes filles de cet âge. Mais ce qui était super, c’est que tu nous as laissé apporter notre propre touche, en fonction de nos personnalités, de nos expériences, aussi.

Je me suis rendu compte au montage que j’avais mis beaucoup de ma propre adolescence dans ce film, sans m’en rendre compte à l’écriture, et qu’en écrivant des personnages féminins, c’était aussi une manière de me protéger de mes propres expériences. 

Constance : Avec toi, ce qui est écrit n’est qu’une base : en tournage, tu nous fais retravailler, tu n’es pas quelqu’un de psychorigide, tu es complètement à notre écoute et tu nous as beaucoup impliquées dans l’évolution des personnages. D’ailleurs, à l’origine, le personnage de Pauline était écrit pour Malaury.

Malaury : Je ne me sentais pas capable de porter le film seule.

Aux essais, Constance, tu m’as tout de suite bluffé, mais j’hésitais entre toi et Malaury. Finalement, je t’ai donné le rôle, mais sans Malaury, il me manquait quelque chose dans le film. J’ai donc créé un nouveau personnage pour elle et c’est comme ça qu’on est arrivé à ce film tel qu’il est aujourd’hui. 

Comment as-tu abordé le personnage de Léa dans La nuit n’en finit plus ?   

Malaury : Il se rapproche un peu trop de moi, je pense (rires).  

Tu as eu du mal à en sortir ?

Malaury : Non, ce n’est pas ça… C’est juste que jouer une introvertie quand on est introvertie, ce n’est pas compliqué. Je n’avais même pas l’impression de jouer. J’étais juste là. Enfin, disons que je me suis bien mêlée à l’équipe, mais c’était surtout une question de légitimité. Tu te retrouves avec des gens qui ont plus d’expérience et… tu te sens… Mais ouais, cette question de légitimité me poursuit. Je ne me suis jamais sentie légitime nulle part.

Et sur le tournage, tu ne te sentais pas à ta place ? 

Malaury : C’est un grand mot. Je me sentais à l’aise, mais je me disais que quelqu’un d’autre pourrait être à ma place. Enfin, je crois. Tout est allé très vite. La première semaine, j’ai peu tourné. J’ai quitté le tournage rapidement. 

Relever le défi de jouer, sans expérience, c’était un challenge pour ton futur métier de réalisatrice ; c’est un truc qui te paraissait important ?

Malaury : Oui, parce que quand on touche à tous les postes, forcément après on a ce sentiment aussi de contrôle sur les choses. On a une vision d’ensemble et aussi on connaît les besoins de tout le monde sur un tournage. Tu ne vas pas traiter quelqu’un moins bien que l’autre. C’est toujours un saut en parachute quand on essaie de sortir de sa zone de confort. Le métier d’actrice, c’est trop personnel. Tu as l’impression d’y mettre trop de toi. 

Pourtant, dans ce que tu écris, c’est vachement toi.

Malaury : Ouais, je sais pas… c’est compliqué. C’est une relation compliquée. 

Constance : Ouais, mais là, c’est ta gueule, tu vois. C’est quoi, ta relation constante avec ton visage ? Moi, je me cache à fond. Enfin… je cache Constance à fond dans le personnage. Plus les personnages sont éloignés de moi, plus ça me rassure. Mais dans la vraie vie, je ne suis pas extravertie. J’ai mis beaucoup de temps à bien m’aimer. Et c’est toujours compliqué. Alors, jouer un personnage, c’est une manière de faire ce que je veux, en fait. Et puis, il y a aussi ce truc où… rien de ce que tu fais n’a de conséquences réelles. Regarde, moi, dans le film, je me comporte de façon horrible avec le personnage de Malaury. Mais ça ne porte pas à conséquence. Ça n’a pas d’impact dans la vraie vie. Et ça me rassure beaucoup.

Est-ce que parfois, c’est compliqué ? Par exemple, dans une histoire d’amour au cinéma, t’arrive-t-il de confondre ce que tu ressens sur le tournage avec ce que tu ressens dans la vraie vie ? 

Constance : Pas du tout. J’ai la chance d’avoir un énorme recul. Je n’ai aucun mal à sortir d’une scène. Il y a trois semaines, j’ai tourné une scène hyper dure où on me pointait avec un flingue, où on devait pleurer. Les gens ont eu peur pour moi. Mais moi, ça allait. Deux minutes après, j’étais passée à autre chose. J’aime ce côté challenge. T’es dans une scène, t’es super touchée, et d’un coup, tu fais « OK, c’est fini », et tout s’en va. Je sais que c’est une chance. Certains ont plus de mal. En tant qu’acteur, il faut faire attention à soi. Et en tant que réalisateur, il faut faire attention à ses acteurs. 

En mai dernier, on est allés à Cannes pour essayer de vendre le film. Mais au-delà de ça, c’était votre première expérience là-bas.

Constance : Moi, j’étais curieuse de voir comment ça se passe, parce que je n’avais jamais fait de festival. Et j’ai eu une grosse désillusion au début : je ne pouvais pas voir les films parce que je n’avais pas de carte. Toi, tu shootais beaucoup. Il y avait des moments où je voyais tout le monde vivre l’expérience que je voulais vivre : défendre le film, faire des interviews… Et moi, j’étais frustrée. Et en plus, il y avait cette question : est-ce qu’on va réussir à le vendre ? Après, ça a été mieux. J’ai eu mon accréditation, j’ai pu voir des films. J’ai vraiment vécu le truc. Cannes, c’est une fourmilière. Tu rencontres des gens que tu ne reverras jamais… ou peut-être que si. C’est un monde particulier.

Malaury : Un peu comme un tournage, non ? 

Constance : Exactement. Pendant un tournage, tout le monde est un peu dans une bulle. Moi, sur les tournages, je deviens extravertie, tactile, alors que dans la vie, je ne suis pas du tout comme ça. Et à Cannes, c’était pareil. Au début, j’étais timide, puis d’un coup, ça s’est débloqué…

Malaury : Et ouais, il y a un peu de ça… Cannes, c’est un monde à part.

Constance : Et pour toi, Malaury, c’est pour le meilleur et pour le pire ?

Malaury : Oui. Je sais que le festival est en France, mais pour moi, ce n’est pas vraiment la France. C’est… c’est Narnia [monde imaginaire créé par l’auteur Clive Staples Lewis, ndlr] ! Un univers parallèle où tout le monde porte un costume. Les actrices arrivent en robe somptueuse, on incarne une image… Et moi, j’avais aussi l’envers du décor en te regardant en tant que photographe. C’est un univers un peu froid, où chacun est là pour lui-même.  

Constance : Tout le monde veut son moment sous le soleil, ou plutôt, son moment de gloire. C’est ça, en fait. Tout le monde cherche à croiser le réalisateur qui dira : « Je te veux dans mon film. »

Et ce fameux rendez-vous avec le producteur ?

Malaury : C’était un peu par hasard, comme pour cette interview. Au début, c’était trop. Je n’aime pas trop ce genre d’exercice, parce que moi, je me raconte déjà mes propres scénarios… Mais ce rendez-vous ressemblait à une interview, en fait. Tu es obligé de te vendre. C’est bizarre, d’ailleurs, de devoir dire : « Ce que je fais a de la valeur, acceptez-nous. »

Oui, sauf qu’au final, tu t’en es très bien sortie !

Malaury : Après réflexion, ce qui m’a aidée à parler, c’est que je n’étais pas seule. Vous étiez là, Constance et François. Et au-delà de ça, il y a toute une équipe derrière, tous les acteurs… On ne fait pas un film tout seul. Il faut penser à tous ceux qui y ont contribué. Si toute l’équipe avait pu être là, tout le monde aurait défendu le projet devant le producteur.

Constance : Moi, j’étais surtout venue parce que je voulais voir Cannes et être avec vous dans ce contexte-là. Ça tombait bien !

Et quand je vous ai appelées pour vous dire que le producteur était chaud pour s’occuper du film, vous avez réagi comment ? 

Malaury : C’était bizarre. À la base, c’était un court métrage non rémunéré de 20-25 minutes…

Constance : Oui, et même aujourd’hui, j’ai encore du mal à le voir comme un film à part entière. Il est devenu un concept un peu lointain pour moi…

Malaury : Oui, c’est un peu trop beau pour être vrai. Il n’y a pas encore d’affiche au cinéma, donc ce n’est pas concret.

C’est exactement ça, trop beau pour être vrai.

Constance : Et toi, Malaury ?

Malaury : Moi, je préfère rester prudente et ne pas trop m’emballer.

Tu as peur d’être déçue ?

Malaury : Non, ce n’est pas ça. Mais si ça ne marchait pas, si le film ne se vendait pas… Je ne sais pas trop. Pour l’instant, on n’a pas encore de résultats. C’est quand tu atteins un sommet et que tu redescends que c’est compliqué. Là, on est encore en phase ascendante. Peut-être que ça s’arrêtera, mais pour l’instant, on avance.

Cette année, on retourne à Cannes, et cette fois, notre objectif est de trouver un distributeur. Les pros à qui on a montré le film pensent que le film doit sortir au cinéma. C’est assez irréel pour moi. On a déjà un producteur, Raymond et Fabien qui nous aident à obtenir des financements, et maintenant, on passe à l’étape suivante : la distribution.

Constance : Exactement !

Tu as réalisé ton premier film, Malaury. Peux-tu nous en parler ? 

Malaury : Je sais pas trop quoi dire. Il s’appelle Psychocat.

Tu veux être réalisatrice, donc il faudra aller chercher les projets, les financements, vendre tes pitchs…

Malaury : Oui, mais le premier film, on se laisse un peu emporter. Après, je ne vais pas le dénigrer non plus…

Il y a un thème qui revient souvent dans ton travail ?

Malaury : La solitude. C’est indéniable. Mais ce qui me porte, c’est ce que je vais faire après. Celui-ci est fini.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite, les filles ?

Constance : Des longs métrages, comme actrice pour moi, et comme réalisatrice pour Malaury.

Malaury : Et des aventures, des imprévus !

Constance : Oui, des aventures.

Alors, on reste sur cette note. Merci, les filles !

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