Art : Le Moyen Âge, une ère de notre époque 

Source inépuisable d’inspiration pour les jeux vidéo, le manga et l’heroic fantasy, le Moyen Âge s’est taillé une place considérable dans la pop culture. Une influence qui s’étend également à l’univers de la création artistique. La preuve avec l’exposition « Berserk & Pyrrhia, Art contemporain et art médiéval » qui oppose des œuvres médiévales et des créations contemporaines, en collaboration avec le Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge.

Abbaye, ordres religieux, retables, et apocalypse. Des thématiques et imageries à l’identité forte qui s’invitent dans la création contemporaine, présentées dans l’exposition « Berserk & Pyrrhia, Art contemporain et art médiéval ». « Nous souhaitons poser la question de l’intérêt pour le médiéval et comment cet intérêt se manifeste aujourd’hui », souligne la commissaire Céline Poulin, avec la participation de créatifs nés à la fin du XXe ou au début du XXIe siècle. Deux générations, qui ont quelques siècles d’écart avec Chrétien de Troyes, qui ont été mises en contact avec cette période par le biais de « la pop-culture, à travers la fréquentation assidue et quotidienne des mangas, des séries, des dessins animés, des jeux de société, des jeux vidéo, comme Zelda, Harry Potter, évidemment Berserk, et Les Royaumes de Feu, d’où est issu le mot Pyrrhia. »Ce goût pour le médiéval, mais sans être dans un rapport historique, c’est ce que Michel Huyhn (Conservateur général du musée de Cluny et conseiller scientifique de l’exposition) appelle le médiévalisme. 

« Depuis une quarantaine d’années, ce terme désigne une pratique qui consiste à regarder dans le prisme contemporain et moderne les apports du Moyen Âge et son infusion, à la fois dans le monde des idées et dans la société de manière générale », poursuit l’historien. « On se rend compte que nous tous, les uns comme les autres, et quels que soient nos parcours, nos goûts, nos appétences et nos inclinations, nous sommes le produit et les héritiers de ce Moyen Âge, et très souvent inconsciemment. Nous pensons qu’il s’agit de quelque chose qui est constitutif de notre personnalité, alors que cela vient de loin, de quelque chose qui est très identifié. Et c’est cela que l’on retrouve, à la fois dans la production des artistes actuels, mais aussi dans les sources qui les ont nourris. »

« Ce qui nous a aussi intéressés dans cette relation entre l’art médiéval et l’art contemporain, c’est cette réflexion autour des rapports de production »,ajoute la commissaire. « En effet, s’intéresser à cette période prémoderne, c’est aussi s’intéresser à la période préindustrielle, et à des méthodes de production qui vont être plus artisanales, comme la céramique, le bronze, ou encore le bois, mais aussi le sang. » Ainsi, l’artiste Alison Flora a réalisé la toile Portail secret, passage secret grâce à sa propre hémoglobine, prélevée à l’aide d’un cathéter. 

Gérard Trignac, Le sanctuaire du doute, 1986, ©Gérard Trignac

De cette période prémoderne, le rapport au mysticisme et au religieux est également surexploité. Dans Shine and Struggle in Shinigami Realm, Ibrahim Meité Sikely met en scène un ange de la mort de Death Note.Il construit le tableau comme une peinture religieuse. En son centre, le cœur, qui est un motif christique, mais aussi une licorne. Religion encore dans Eigengrau_CH1 de Raphaël Moreira Gonçalves, une sorte de néo-retable low tech, qui mélange impression 3D, routeur WIFI, intelligence artificielle, peinture acrylique et argile. Dans un autre genre, l’artiste Teresa Fernandez-Pello explore également ce must have des églises, avec The Heart of the Heart, élaboré à l’aide de produits électroniques mis au rebut, câbles électriques, résine de polyester, acrylique, et tubes d’acier. Une œuvre qui vient interroger « l’évolution des croyances, de la foi religieuse à la confiance en la technologie. »

Pas de médiéval sans ses créatures magiques, et notamment ses sirènes. Avec Lit de sirène, Agnes Scherer donne vie à un lieu de chagrin, d’amour et de maladie. « Il symbolise un modèle traditionnel de vie domestique, incompatible avec celui de la sirène ». Celle-ci, une « créature dépourvue d’âme, qui ne peut en acquérir une qu’en épousant un humain », reste pourtant une « anti- épouse ».

L’architecture est aussi présente, sous la forme d’une place de village reconstituée. Sur celle-ci, l’on trouve l’œuvre de Corentin Darré Un peu de plomb dans vos cœurs, qui comprend une façade d’une maison à colombages argentée et un film contant « une malédiction née d’un amour interdit, révélant comment les sociétés désignent des boucs émissaires face à l’inexplicable ». Notre pièce préférée, la fontaine OpenSource* de L. Camus-Govoroff, s’inspire de la figure de la Vierge. « Je trouvais intéressant d’étudier ce rapport entre la source fermée, qui ne peut pas être source de vie, et la Vierge Marie, qui est l’incarnation de la vie christique dans la culture catholique. […] J’ai décidé que cette fontaine n’allait pas contenir de l’eau, mais une décoction. C’est un mélange de plantes qui a été réalisé par des étudiants de Berkeley autour des années 2015 et 2017, dans le cadre de recherches autour d’une pilule contraceptive non hormonale. C’est aussi un parallèle avec le fait que les recherches en herboristerie ont été très limitées en France. Pour moi, cette pièce représente aussi l’histoire de la censure des savoirs ancestraux, au profit d’élites pharmaceutiques ou de politiques antiféministes, étant donné qu’on liait souvent ces savoirs autour des plantes à des entités plus féministes », explique l’artiste. 

Si le médiéval offre une échappatoire à la rationalité contemporaine, il propose également un miroir où notre monde moderne se reflète à merveille.

« Berserk & Pyrrhia, Art contemporain et art médiéval »
Frac Île-de-France, Le Plateau
Jusqu’au 20 juillet 2025

fraciledefrance.com/lieux/plateau

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