À Londres, Thaddaeus Ropac accueille la première exposition personnelle au Royaume-Uni de l’artiste danoise Eva Helene Pade. Une plongée magistrale dans un univers de foules embrasées, où le corps féminin devient langage collectif avec violence et séduction.

Il y a dans la peinture d’Eva Helene Pade quelque chose d’inquiétant et d’attirant à la fois, comme une danse qui hésite entre étreinte et bousculade. Avec Søgelys (littéralement « projecteurs »), l’artiste née au Danemark et installée à Paris dirige une chorégraphie de corps traversés de tensions, suspendus entre lumière crue et volutes de fumée. Les toiles monumentales, dressées sur des poteaux métalliques qui les arrachent aux murs, forcent le spectateur à circuler, à se glisser parmi elles, comme à l’intérieur d’un drame collectif.
Dans ses foules de silhouettes saturées de rouges et d’ocres, le féminin domine. Mais loin d’un regard qui fige et fétichise, Pade traite ses personnages comme des « palettes émotionnelles », des véhicules d’affects. Ses corps se dissolvent, se métamorphosent, se heurtent, se consument dans la matière picturale. Les visages se brouillent, les lèvres s’effacent, les gestes deviennent bribes de récit, suspendus à la limite de l’abstraction. Ce que Pade met en avant, ce n’est pas l’individu mais la puissance du commun, ce tumulte partagé où les contours de soi se dissolvent dans un geste spontané.

La fumée, omniprésente, agit comme une métaphore : elle efface les contours, rend incertaines les scènes, installe une menace sourde. Dans Skygge over mængden (Ombre au-dessus de la foule), une silhouette ailée surgit au-dessus d’une masse calcinée, baignée par un ciel jaune éclatant, tandis que les faisceaux de projecteurs balaient la toile comme des yeux inquisiteurs. Ces rayons, qui donnent leur titre à l’exposition, se transforment tour à tour en courants électriques, en éclats d’épées, en lances médiévales rappelant Paolo Uccello.
Réminiscences d’histoire de l’art, mythologies revisitées, mémoire de la peinture d’histoire et des fresques murales de Diego Rivera : chez Pade, chaque figure semble prisonnière d’un cycle immémorial de chute et de renaissance. Ses foules deviennent les paraboles d’un présent troublé, traversées tout à la fois par l’extase et la menace de l’effondrement.
« Søgelys »
Thaddaeus Ropac Ely House
37 Dover Street, Londres (Angleterre)
Jusqu’au 22 novembre 2025



Midt fald (Mid fall), 2025, © Eva Helene Pade. Photo: Pierre Tanguy. Courtesy Thaddaeus Ropac








