Frissons garantis dans la pénombre des sous-sols du Palais de Tokyo investis par Laura Lamiel. Magnifique par ses jeux de reflets et effrayante en même temps, la première installation de la plasticienne ne pourra vous laisser de glace : d’un blanc immaculé, une vaste étendue de verre pilé hérissée d’une chaise en métal posée de guingois brille de tous ses feux, et nous éblouit, tandis qu’en s’approchant, on s’aperçoit qu’elle est garnie de couteaux, de ciseaux, de porte-plumes, de lames, de vis et autres objets contondants, mais aussi de capsules de gaz hilarant clairsemées ou parfaitement alignées. Malaise…
Au ruissellement de la lumière des néons ricochant sur les verres brisés, répandus sur un sol en miroir simulant un espace infini, répond le scintillement des outils coupants. Beauté et danger sont ici intimement liés. Par-delà la séduction, la peur nous guette, comme cette chaise qui chancelle, isolée au centre de l’installation, qui pourrait bien être celle du condamné… nous, peut-être, dont nous découvrons le reflet de l’autre côté, dans le miroir nous faisant face ?…


FANTÔMES
Poussée ici à l’extrême, la mise en tension des matériaux est au coeur de toute la dramaturgie de Laura Lamiel, le fondement de son esthétique. En témoigne le titre de cette installation, Du miel sur un couteau, emprunté à un moine tibétain définissant ainsi la sexualité…
Dans La Mue et La Mue 2, l’artiste décline les mêmes sensations contraires de douceur et de douleur en suspendant face à face des manteaux en coton hydrophile et des chemises en mailles de fer semblables à des ombres ou des fantômes ; à moins qu’il ne s’agisse de nos démons intérieurs…
Matérialisant la présence de corps absents, les manteaux, comme les gants, sont des motifs récurrents chez Laura Lamiel.
Dans les « cellules », ils évoquent tant l’emprisonnement que l’inaccessibilité. Là aussi, dans ces espaces non pénétrables, « territoires intimes 1 » fermés par des parois de verre transparentes ou opacifiées, ou des miroirs (avec ou sans tain), cohabitent les contraires. Y sont agencés avec un soin obsessionnel tous les outils et matériaux de l’univers de l’artiste, mêlant les objets du quotidien à ceux du cabinet de travail ou de l’atelier : lampes, vêtements, livres, marottes, valises, fils de cuivre, verre, acier, cuir, coton…
De la froideur à la sensualité, les rencontres fortuites sont fulgurantes.
Vue de l’exposition « Coimbra Biennial of Contemporary Art », 2022 Avec l’aimable autorisation de l’artiste et de Marcelle Alix, Paris / Photo : Jorge das Neves
TERRITOIRES INTIMES
Métaphore de la saturation et de l’aliénation, l’oeuvre Dans les plis nous conduit dans d’autres « espaces psychiques 2 » : dans les rayonnages d’une vaste étagère métallique, l’artiste a accumulé 300 kg de linges blancs méthodiquement plissés. Ponctuée de tubes fluorescents et de lambeaux de tissu portant l’inscription « Rien n’est à faire, tout est à défaire », l’oeuvre sonne comme un sinistre, ou plutôt, cynique avertissement. Pour l’artiste, en effet, « les femmes ont toujours été contraintes […] le linge fait partie de ces contraintes. Ce linge, ces compressions, c’est une métaphore d’une condition dans laquelle “rien n’est à faire, tout est à défaire” » 2. Installation-sculpture, comme le grand étal de livres teintés à l’encre rouge – ayant perdu « à la suite de ce long et minutieux processus de recouvrement […] leur caractère de livre pour devenir de «simples» parallélépipèdes rouges 3 » –, cette « compression » aux allures de grand rempart donne aussi à voir la beauté purement formelle de l’oeuvre prolifique et protéiforme de l’artiste venue de l’art minimal.
1 Anne Tronche, La Pensée du chat, éd. Actes Sud / Le Crestet Centre d’art, Arles, 2000
2 Yoann Gourmel, commissaire de l’exposition
3 Laura Lamiel, entretien avec Yoann Gourmel, Atelier de l’artiste, Paris, mars 2023
« LAURA LAMIEL – VOUS LES ENTENDEZ ? »
PALAIS DE TOKYO 13, AVENUE DU PRÉSIDENT-WILSON, PARIS 16E
JUSQU’AU 10 SEPTEMBRE 2023
PALAISDETOKYO.COM
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