Le Pavillon de verre du Louvre-Lens laisse entrer la lumière comme on entrouvre un passé. Dedans, l’ombre travaille. L’exposition L’envers du temps de Roméo Mivekannin s’y déploie sans bruit, mais avec une densité rare. Les œuvres de l’artiste franco-béninois ne se contentent pas de réinterpréter les chefs-d’œuvre de l’art occidental : elles les renversent, les mettent en tension, les retournent sur leur face oubliée. Celle des corps absents. Celle des visages tus.

Des draps usés, trempés dans des bains d’élixirs vaudous, deviennent toiles. Du linge domestique, hérité ou récupéré, marqué par les usages, les sueurs, les vies passées. Mivekannin y appose des figures noires, souvent issues d’archives coloniales ou de sa propre mémoire, qu’il fond dans la trame d’œuvres canoniques. Ici, une relecture du Radeau de la Méduse : les naufragés ne supplient plus, ils accusent. Là, un corps féminin, inspiré de la peinture classique, dont le regard a été déplacé – comme dérobé – pour porter une mémoire plus ancienne, plus grave.
La force de cette exposition ne vient pas d’un geste spectaculaire, mais d’une technique obstinée. Chaque pièce est un champ de tension. Le peintre ne cite pas Géricault, Ingres ou Manet : il les confronte à leur propre silence. Il insère son autoportrait au cœur des œuvres – corps présent, visage trouble, témoin d’une mémoire fracturée. Dans une œuvre, son visage émerge derrière un voile, comme s’il regardait à travers les siècles une histoire qu’il refuse désormais de subir.

Ce travail m’a immédiatement fait penser à Kehinde Wiley, dans sa relecture brillante et frontale des portraits aristocratiques, et à Kara Walker, dans sa manière de détourner les figures pour les charger de noirceur, au sens politique du terme. Mais Mivekannin a autre chose : une lenteur rituelle, presque liturgique, qui renvoie aussi au travail de William Kentridge, dans cette manière d’extraire le politique du passé sans jamais sacrifier la forme.
Il y a un an, le Louvre-Lens proposait Exils – Regards d’artistes, une exposition précieuse mais un peu trop lisse, presque contemplative. L’envers du temps va plus loin. Elle dérange. Elle gratte. Elle prend à revers. Certaines œuvres, inspirées de portraits photographiques ethnographiques du début du XXe siècle, frappent par la vitalité qu’elles insufflent à des figures figées. Elles ne sont plus objets d’observation : elles deviennent sujets d’histoire.
Le Louvre-Lens, avec son Pavillon de verre, offre un contraste saisissant entre architecture aérienne et propos frontal. Cette tension spatiale donne aux toiles de Mivekannin une respiration. On avance entre elles comme dans un temple fragile. Rien n’est frontal. Tout est feutré. Mais rien n’est neutre.
L’exposition dure jusqu’au 2 juin 2025. C’est un rendez-vous avec le non-dit. Une manière de faire parler les chefs-d’œuvre sans leur faire dire ce qu’ils n’ont jamais voulu dire. Ce n’est pas une réécriture. C’est un retour. Un retour sur ce qui a été effacé.










