Dion Beebe – Comprendre la lumière

Récompensé cette année par le prix Pierre-Angénieux, distinguant au Festival de Cannes l’œuvre d’un directeur de la photographie, Dion Beebe est un chef op’ aussi discret que talentueux. On lui doit pourtant la lumière de près d’une trentaine de films, essentiellement à Hollywood. Portrait d’un homme d’ombre et de lumière. 

Il apparaît décontracté, un air de premier de la classe, et humble comme le sont souvent les hommes de l’ombre. Il n’aime pas trop s’appesantir sur son travail. Pourtant, on lui doit la lumière de films comme Collateral (2004) de Michael Mann, Chicago (2002) de Rob Marshall, Holy Smoke (1999) de Jane Campion, Edge of Tomorrow (2014) de Doug Liman ou encore Mémoires d’une geisha (2005) du même Rob Marshall, qui lui a valu un Oscar en 2006. Alors qu’il vient de finir le tournage de Michael (le biopic sur Michael Jackson par Antoine Fuqua), Dion Beebe était de passage à Cannes pour recevoir le prestigieux prix Pierre-Angénieux, décerné chaque année à un directeur de la photographie pour l’ensemble de son œuvre, par la marque éponyme d’optique française très réputée dans le monde de l’image.   

Lors de la cérémonie de remise du prix, le mot le plus employé pour qualifier le travail de Dion Beebe était certainement « éclectique ». Difficile en effet de trouver des points communs entre les couleurs vives de la Floride de Miami Vice (Michael Mann, 2006), l’ambiance néo-noir du film de super-héros Green Lantern (Martin Campbell, 2011) ou le monde aquatique de La Petite Sirène (Rob Marshall, 2023). A priori, Dion Beebe semble être l’archétype de ces directeurs de la photographie hollywoodiens capables de s’adapter à chaque projet. C’est après tout leur devoir : avant d’être des artisans de l’image, ce sont des techniciens au service de la vision du metteur en scène. Certes, un style aussi caméléon est souvent synonyme de discrétion : on discute moins du talent de Dion Beebe que de celui de certains de ses confrères plus esthètes, comme Darius Khondji ou Roger Deakins. Et pourtant, il faut un talent véritable pour comprendre la lumière suffisamment bien afin d’offrir au réalisateur exactement l’image désirée. 

La nuit numérique

En 2004, Dion Beebe contribue à un jalon essentiel de l’histoire du cinéma : imaginer une nouvelle image à l’ère du numérique, et plus particulièrement, dans Collateral, une nuit nouvelle. S’attaquer à la nuit au cinéma, particulièrement dans un polar, c’est rejoindre une tradition presque séculaire : celle du film noir. Certes, ce genre très codifié avait déjà subi plusieurs bouleversements, mais au tournant des années 2000, alors que l’image numérique commence à s’imposer de plus en plus dans nos vies, Michael Mann a le sentiment qu’il faut donner au polar nocturne une nouvelle couleur. Filmé partiellement avec de nouvelles caméras numériques (certaines scènes intérieures sont toujours tournées en pellicule), Collateral offre à Dion Beebe la possibilité d’utiliser à fond les capteurs bien plus sensibles de ce nouveau matériel. Autrement dit, le directeur de la photographie utilise au maximum l’éclairage de la ville pour donner une dimension particulièrement urbaine au récit. Les milliers de lumières de la métropole de Los Angeles contribuent de manière quasi impressionniste à l’éclairage des acteurs et du décor, autant que les habituels spots directionnels de cinéma. Par ailleurs, Beebe donne au film cette couleur entre le gris et le bleu, d’un ciel de smog éclairé par la ville, qui deviendra la marque de fabrique du long métrage devenu culte.   

Un exercice d’éclairage périlleux, réalisé d’une main de maître par Dion Beebe, venu remplacer au pied levé le chef opérateur Paul Cameron, qui abandonna le projet face aux demandes peu orthodoxes de Mann. Mais Dion Beebe n’en était pas à son premier défi. De nationalité australienne, il avait dû affronter plusieurs fois l’écrasante lumière de son pays. Ainsi, dans Holy Smoke, son premier travail sur un film de sa compatriote Jane Campion, il a dû trouver une solution (en réfléchissant la lumière) pour faire apparaître les contrastes des visages de Kate Winslet et Harvey Keitel dans un désert sans ombre où le soleil permanent vient brûler chaque point de l’image. Polyvalent, Dion Beebe sait aussi bien s’adapter aux décors naturels que maîtriser une ingénierie complexe de studio. Dans un studio, le directeur de la photographie est un dieu capable de créer l’image qu’il souhaite, « à condition de bien comprendre la lumière », précise Dion Beebe. Par exemple, savoir l’effet qu’aura une lumière en fonction de la matière qui la réfléchit. Pour Mémoires d’une geisha, tourné presque intégralement en studio, une immense structure métallique fut construite afin de recréer en Californie la lumière du Japon d’avant-guerre. Une pure image de cinéma, aux antipodes du naturalisme stylisé de Collateral. Mais c’est ce que doit faire le directeur de la photographie, rappelle humblement Dion Beebe : « Être au service du récit. »  

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