La jeune actrice, vue dans La morsure de Romain de Saint-Blanquat et La Pampa d’Antoine Chevrollier, nous a accordé un entretien pour nous parler de son rapport au cinéma et de ses futurs projets.

François Berthier : Est-ce que tu te souviens de ta première relation avec le cinéma ?
Léonie Dahan-Lamort : Moi, je suis tombée amoureuse du cinéma en regardant Mary Poppins. Je l’ai vu tous les jours pendant deux ans et demi quand j’étais enfant. Il y a un potentiel addictif dans ce film, c’est assez puissant. J’étais vraiment émerveillée par les couleurs, la danse, le chant, et aussi par la partie animation qui m’a beaucoup touchée. Et puis, il y a Julie Andrews, quoi… Elle me touche à des endroits profonds, et je trouve ce film très mélancolique à certains moments. Donc, oui, c’était un tout qui m’a vraiment marquée, et je ne m’en lasse pas.
Quel âge tu avais ?
Quatre ans, je pense. De quatre ans à six ans et demi.
Et là, tu t’es dit : « Je veux faire ça », ou pas encore ?
Non, à ce moment-là, c’était juste : « Je veux regarder ce film tout le temps ». Par contre, ça m’a donné envie de faire de la danse, de l’art, mais j’ai rêvé très tard de ce métier. En fait, j’étais déjà un peu dedans quand je me suis dit : « Finalement, ce n’est pas mal, quoi ! ». Mais ce n’était pas un rêve dévorant.
Qu’est-ce qui t’a fait entrer dans ce milieu ?
J’avais fait du théâtre toute petite, et j’ai repris quand je suis arrivée à Paris, à 14 ans. En fait, je m’amusais énormément, et un jour, mon père m’a demandé si je voulais qu’il m’inscrive à des castings. J’ai dit oui, sans vraiment savoir dans quoi je me lançais. Très vite, j’ai passé des castings, j’ai fait un premier court métrage, et après ça, j’ai été signée par mon agence. Tout s’est déroulé naturellement.
Et aujourd’hui, le cinéma, c’est quoi pour toi ? Une évasion ? Un retour en enfance ?
Complètement ! Le jeu, c’est une source d’émerveillement sans limites pour moi. Je revois la petite fille qui dansait dans sa chambre tous les matins avant de partir à l’école. Ça me fait du bien. En même temps, ça m’attire vers des endroits que je ne connaissais pas, ça me fait vivre des vies que je n’aurais jamais vécues. C’est à la fois un réconfort et une évolution.
Est-ce que le cinéma t’aide à te découvrir en tant que femme ?
Je ne sais pas, parce que pour le moment, j’interprète surtout des adolescentes. J’ai beaucoup exploré la découverte du désir, mais toujours ancrée dans l’adolescence. Peut-être que ça me prépare à l’âge adulte.
Tu as envie de jouer d’autres rôles ?
Oui, j’ai l’impression d’avoir fait un peu le tour de la naissance du désir, bien que ce soit toujours intéressant à traiter.
Le désir, c’est quoi, pour toi ?
C’est souvent le désir sexuel, mais aussi le désir de vivre, cette pulsion de découvrir la vie d’adulte. Mais j’ai envie d’explorer d’autres personnages, qu’ils soient très loin ou très proches de moi.
Tu as interprété cette thématique avec des réalisateurs et des réalisatrices. Vois-tu une différence dans le traitement ?
J’ai travaillé avec les deux. Cela dépend plus des personnalités que du genre. J’ai rencontré des réalisateurs très doux et à l’écoute, comme Romain pour La Morsure. Et j’ai aussi tourné avec des réalisatrices [avec qui] l’ambiance était très sécurisante.
Quel type de rôle aimerais-tu jouer ?
J’aime la bizarrerie. Je ne sais pas bien la définir, mais j’aime les personnages singuliers.
Tu t’es sentie bizarre dans ta vie ?
Moi, non. Mais on m’a fait me sentir bizarre, surtout pendant mon enfance.
Comment ?
Par le harcèlement scolaire, par le fait de ne pas aimer les mêmes choses que les autres. On finit par se demander si on est « cassé » à l’intérieur.
Est-ce que le métier d’actrice est une revanche ?
Un peu, oui. Il y a ce truc de se dire : « J’existe » parce que je suis filmée. Et l’enfant que j’étais, qu’on trouvait trop moche, trop bizarre, aujourd’hui, elle peut exister à travers le jeu. C’est thérapeutique.
Ces expériences ont influencé ton approche du jeu ?
Complètement. Quand tu as eu tout un collège qui te trouvait bizarre, arriver sur un plateau, c’est moins terrifiant. Même la question de la nudité dans l’audiovisuel m’a aidée. Mon premier court métrage, Réveil, à 16 ans, comprenait une scène où je devais enlever mon t-shirt, et j’étais super entourée, mon père était là, c’était vraiment sécurisé, mais c’était assez incroyable, la sensation d’enlever le t-shirt et de se rendre compte qu’il ne se passe absolument rien en fait, que le regard de personne ne change, que tout le monde continue à bosser sur ce qu’il est en train de bosser et qu’en fait c’est peut-être pas si grave d’avoir un corps, quoi, et ça, ça m’a beaucoup aidée. Ça m’a fait comprendre que ce n’était peut-être pas si grave d’avoir un corps.
Et en-dehors du cinéma ?
Je pense que j’aurais été très bizarre dans un milieu d’entreprise classique…
La vie d’adulte, ça ne t’intéresse pas ?
Oui et non. Il y a des aspects de la vie d’adulte qui sont une vraie liberté : pouvoir être soi-même, ne pas avoir à justifier ses choix. Si je veux sortir, je sors, et ça me fait un bien fou. Mais en même temps, il y a cette confrontation avec un monde qui attend de nous qu’on soit « lisse », conforme à une définition rigide de l’adulte : un boulot stable, des revenus fixes, une maison, un chien, deux enfants… Ça, ça ne m’intéresse pas vraiment.
Et du côté de tes rôles au cinéma, quel type de personnages aimes-tu interpréter ?
J’aime jouer des femmes puissantes. Pas forcément des personnages qui le savent dès le début, mais qui finissent par en prendre conscience au fil du récit, qui osent exprimer leur colère. Ce qu’on appelle la female rage, ça m’intéresse énormément. Jouer des femmes qui s’autorisent à prendre de la place et à exprimer leur colère, c’est un bonheur indescriptible. J’aime aussi beaucoup les films de vengeance. J’ai tourné pas mal de courts métrages qui explorent ces thématiques.
Tu sembles attirée par des films qui ont plusieurs niveaux de lecture.
Oui, totalement. Ce que j’adore, c’est quand un film peut être vu différemment selon qui le regarde. Moi, j’y vois une échappatoire, mais d’autres peuvent simplement y voir un film d’action, un divertissement. Ce qui me plaît, c’est quand il y a plusieurs degrés d’interprétation possibles.
Et le cinéma fantastique, ça t’intéresse aussi ?
Beaucoup ! J’adorerais jouer des sorcières. Déjà parce que ça fait écho à ce dont on parlait : les sorcières sont des femmes qui maîtrisent leur environnement, la nature, et qui [ont le] contrôle. Mais aussi parce que la figure de la sorcière est fascinante : c’est souvent une femme considérée comme une paria, une étrangère, une menace pour l’ordre établi. Historiquement, les sorcières étaient souvent des femmes veuves ou indépendantes, sans mari ni père pour les « contrôler », et elles étaient persécutées pour ça. C’est une métaphore puissante qui me touche beaucoup.
Et en ce moment, quels sont tes projets ?
Il y a La Pampa, qui est sorti le 5 février. C’est un film qui se passe dans un petit village gangrené par le virilisme, notamment dans le milieu très masculin du motocross. On suit deux meilleurs amis, et l’un d’eux va voir son secret être dévoilé. J’y joue Marina, le personnage féminin principal, qui est un peu un bol d’air frais dans cet environnement. Elle a quitté le village pour aller étudier l’art à Angers, et son retour va permettre aux protagonistes de voir qu’une autre vie est possible. Le film parle aussi de la découverte du désir et de la sexualité.
Tu as aussi tourné des séries récemment ?
Oui, notamment pour OCS. Il y a Deadline, réalisé par Erwan Marinopoulos. C’est une série avec beaucoup d’humour noir. J’y joue un rôle très différent de ce que j’ai l’habitude de faire : une petite peste, une vraie relou. L’histoire se déroule dans une unité de soins palliatifs, où on suit des personnages dont on sait qu’ils vont mourir. Mon personnage est une jeune fille atteinte de leucémie qui veut profiter de la vie avant la fin.
Tu as souvent joué des personnages qui cherchent à s’émanciper. C’est une coïncidence ou c’est toi qui vas vers ces rôles ?
Je pense que c’est une rencontre entre ce que je dégage et ce qui m’attire. Les comédiennes et comédiens ont moins de contrôle qu’on ne le pense sur les rôles qu’ils obtiennent. Mais en même temps, si j’ai envie de travailler sur certaines questions, je dois aller vers ces projets, les provoquer. Souvent, c’est en rencontrant les personnes qui portent ces projets qu’on réalise à quel point ils nous parlent. Un scénario en lui-même ne me prend pas forcément aux tripes. Ce qui me passionne, c’est entendre les réalisateurs et scénaristes parler de leur vision. Pourquoi ils veulent faire ce film ? Quelles émotions ils veulent transmettre aux spectateurs ? Où est-ce que je peux m’intégrer là-dedans pour que leur projet prenne vie ?
Tu dirais que tu as une approche intellectuelle du cinéma ?
Je pense qu’on dirait ça de moi, mais en réalité, mon approche est surtout instinctive. Ce qui me passionne, c’est voir des gens parler avec des étoiles dans les yeux de ce qui les anime. Même si le sujet ne m’intéresse pas à la base, leur passion me donne envie de les accompagner dans leur projet.
Et dans la vie, qu’est-ce qui ne t’intéresse pas du tout ?
Les codes sociaux ! J’ai du mal à les comprendre, et encore plus à les appliquer. Le small talk, les conventions… Je ne sais pas les faire, et je n’ai pas vraiment envie de les apprendre.
Tu ne seras jamais le genre d’actrice à se compromettre pour décrocher des rôles plus prestigieux, à se plier à des codes qui ne lui correspondent pas ?
Non, ce n’est pas mon truc. Déjà, je n’en ai pas envie, mais en plus, je ne pense pas que je saurais le faire. Ça se verrait que je me trahis complètement, que je ne sais pas ce que je fous. C’est vrai qu’on attend souvent des comédiennes qu’elles incarnent ce désir, cette volonté d’être désirée, de séduire…
Si, à la fin de ta carrière – dans très longtemps – tu n’as pas atteint tes objectifs, est-ce que ce serait un échec pour toi ?
Je ne pense pas. Déjà, j’ai fait des projets qui comptaient pour moi, qui avaient une ambition de faire bouger les choses dans la société. J’apporte ma pierre à l’édifice à ma manière. Et puis, si je finis seule dans une maison au fond des bois… pourquoi pas, ça me conviendrait aussi.
Tu parles beaucoup du regard des réalisateurs, de l’équipe… Mais celui du public, il compte pour toi ?
Ce qui m’importe, c’est que les personnes qu’on cherche à représenter ne se sentent pas trahies. C’est leur validation que je veux. J’aime me confronter au public concerné pour savoir s’il se reconnaît, s’il se sent respecté. Après, bien sûr, c’est agréable d’avoir des retours positifs sur mon travail, mais je ne cours pas après une reconnaissance de masse, cette idée de « superstar ». Je pense que ma génération d’acteurs et actrices déconstruit pas mal ce culte de la célébrité. On en voit aussi les aspects négatifs. Angèle, par exemple, quand elle fait ses courses et qu’elle se fait harceler par 150 personnes, c’est loin d’être cool. Moi aussi, quand je faisais de la télé, j’ai vu ce que c’était d’avoir une fanbase intense. Ces gens qui te suivent à la trace, qui capturent chaque seconde de ton passage à l’écran… C’est lié au format : une quotidienne, ça s’installe dans le quotidien des spectateurs. Ils te voient tous les jours en famille, alors pour eux, tu fais partie de leur vie. Sauf que ça mène à des moments hyper intrusifs. Une fois, je marchais dans la rue, et quelqu’un m’a saisie dans ses bras sans prévenir, sans même dire bonjour. Il m’appelait par le prénom de mon personnage, ce qui, en soi, ne me dérange pas. Mais entrer dans ma bulle comme ça… il n’y avait plus de barrière. Et toi, tu es là, tu ne veux pas passer pour une conne, alors tu encaisses. Il faut apprendre à gérer ça.
On ne vous forme pas à ça ?
Pas du tout. Personne ne nous prépare à ça. Parce qu’il y a toujours cette idée sous-jacente que si ça t’arrive, tu ne vas pas te plaindre. Être reconnu, c’est censé être trop stylé. Certes, ça empiète sur ton espace personnel, mais bon, « attends, t’as des fans, c’est cool ! ».
Tu as fait une école de théâtre ?
J’ai pris des cours à droite et à gauche, mais rien d’académique. D’ailleurs, dans les formations, on ne t’apprend pas à gérer l’intimité. Apparemment, ça commence à se faire, mais globalement, ça reste un énorme angle mort.
Si on te proposait un rôle d’héroïne badass avec des flingues, tu accepterais ?
Ah, quand même ! La peur peut être un moteur, tu vois. Ce que j’adore dans ce métier, c’est justement de me confronter à des situations improbables. Dans ma vraie vie, jamais je ne toucherais une arme, mais sur un tournage, tout est sécurisé, et ça devient un jeu.
Et Cannes, alors ? Tu étais présente l’année dernière ?
Oui, et ça m’a fait du bien. J’ai toujours eu un syndrome de l’imposteur, mais Cannes m’a apporté une validation que je n’avais jamais eue. Pas d’études, pas de diplômes, donc plus de reconnaissance académique depuis longtemps. Là, c’était le milieu du cinéma qui me disait : « C’est bien, ce que tu fais ». J’ai passé un super moment, mais je ne me suis pas laissé entraîner dans les excès. Pas de nuits blanches en boîte avec des types sous coke. Monter les marches, en revanche, c’est un shot de sérotonine indescriptible. J’étais sur un petit nuage pendant quatre jours. Mais paradoxalement, Cannes, c’est aussi tout ce que je déteste : paillettes, superficialité, contrôle de l’image. Ça m’angoisse. Alors j’ai joué le jeu, comme dans un film. Pour la montée des marches, je savais qu’on attendait une robe. J’en ai mis une, mais pas la robe cliché avec un décolleté plongeant. Non, une robe bouffante, adorable, qui détournait un peu les codes. Trois jours à Cannes, c’est parfait. Plus, je crois que j’aurais saturé. Trop d’informations, de stimulations, de cris, de flashs. D’ailleurs, le tapis rouge, c’est une folie. Les photographes hurlent ton nom, t’assaillent, c’est comme si ton cerveau se mettait en off. Bref, Cannes, c’était intense, grisant, mais je crois que j’ai trouvé ma façon à moi d’y naviguer.