Et si le deuxième long métrage de chaque cinéaste était son chef-d’œuvre ? On applaudit souvent les premiers longs, promesses d’une grande œuvre à venir, mais le deuxième film, souvent plus abouti, confirme véritablement la grandeur d’un(e) cinéaste. Cette année au Festival de Cannes, dans les diverses sélections, trois deuxièmes films nous ont particulièrement enthousiasmés. Retenez les noms de leurs auteurs : ils marqueront le cinéma.
The Sound of Falling de Mascha Schilinski – Compétition officielle.
Présenté en tout début de festival, le deuxième long métrage de la réalisatrice allemande impressionne par sa maîtrise. The Sound of Falling traverse plus d’un siècle de vies au cœur d’un corps de ferme dans l’est de l’Allemagne, mélangeant plusieurs époques, du début du XXe siècle à nos jours en passant par les années 1960 – toutes impeccablement reconstituées. À chaque décennie, des joies, des peines et des secrets de famille, transmis comme une tare invisible de génération en génération. Volontairement non linéaire, le récit de Mascha Schilinski se feuillette comme un vieil album de photos, où l’on croit discerner dans les regards froids et absents les malheurs oubliés. Le thème de la photographie traverse par ailleurs tout le long métrage. Plutôt qu’une histoire que l’on déroule, ce grand film est d’abord une expérience sensorielle à travers le travail sur l’image, le montage et surtout le son. Un vrai film de fantôme, comme on n’en a pas vu depuis longtemps.

Que ma volonté soit faite de Julia Kowalski – Quinzaine des cinéastes.
Un bon film d’horreur est avant tout un film d’ambiance où l’on croit aux personnages et aux situations. C’est cette vieille recette, appliquée avec beaucoup de talent et de personnalité, qui fait du nouveau film de Julia Kowalski – qui s’inscrit dans la continuité de son précédent court métrage – une petite merveille. Dans un village de la campagne française vit une famille polonaise, bien intégrée, éleveuse de bovins. Le père, autoritaire mais aimant, les deux frères, un peu bourrus, et la sœur, réservée mais volontaire. Un jour, les bêtes se mettent à mourir d’une étrange maladie, tandis que revient au village une femme que beaucoup considèrent comme paria. Alors que l’équilibre de la communauté est perturbé, un mal mystérieux saisit la jeune fille de la famille. Flirtant délicatement avec le fantastique, Que ma volonté soit faite est un film de possession aux images marquantes (âmes sensibles s’abstenir) et à l’atmosphère poisseuse, dont on se souviendra longtemps.

Un Poeta de Simón Mesa Soto – Un certain regard.
Oscar Restrepo est un poète raté. Il traîne derrière lui une gloire passée, un grand prix de poésie vieux de plusieurs décennies, une brève carrière de professeur d’université et quelques livres publiés il y a bien longtemps. Aujourd’hui, Oscar Restrepo a les cheveux sales, des dettes à n’en plus finir et il vit chez sa mère. Même sa fille, qu’il ne voit pas souvent, le considère comme un loser. Mais alors qu’il accepte un job d’enseignant dans un collège, il fait la connaissance d’une jeune élève qui se révèle une poétesse de génie. Il se verrait bien devenir son mentor. Mais elle, qui vient d’une famille très pauvre, a des rêves plus simples. Filmé en 16 mm avec beaucoup de grain, et bonifié par un travail très fort apporté à l’image (avec beaucoup de jeu sur les zooms et les mouvements vifs de caméra), Un Poeta est une comédie colombienne douce-amère, parfois cruelle, qui brille par la justesse de ses personnages et de ses situations. Oscar (interprété avec génie par Ubeimar Rios, dont c’est le premier rôle important) est talentueux, quoique trop sûr de lui, attachant mais parfois lourd, surtout lorsqu’il boit trop. Il est autant coupable que victime de sa situation et, même si le trait est parfois un peu forcé, chacun pourra d’une certaine manière s’y reconnaître.








