À l’Institut suédois l’exposition « Blazing Grace » ravive l’héritage du verre nordique. Sous le commissariat de Markus Emilsson, cinq artistes – Maria Bang Espersen, Hanna Hansdotter, Peter Hermansson, Fredrik Nielsen et Kirsten Vikingstad Hermansson – réinventent un matériau séculaire pour en faire l’expression d’une création résolument contemporaine.


Kirsten Vikingstad Hermansson. Mothering. Photo Maddoc Photography
En Suède, l’art verrier est riche d’une longue histoire. Il a façonné l’identité d’un pays, avec de nombreuses verreries comme Kosta, établie en 1742 et toujours en activité, et a brillé à l’Exposition universelle de Paris en 1925 avec le Swedish Grace, courant esthétique cousin de l’Art déco, marqué par une élégance épurée. Mais alors que la plupart des grandes verreries du Småland – région de Suède surnommée le « royaume du verre » – se sont éteintes, une nouvelle génération prend le relais, délaissant le poli parfait pour célébrer l’accident créatif et la vitalité.
L’exposition « Blazing Grace » porte bien son nom, déployant une grâce flamboyante. Chaque artiste, par des gestes singuliers, détourne les codes. Maria Bang Espersen plie et tord la matière comme un sucre en fusion, entre hasard et maîtrise. Hanna Hansdotter gonfle ses formes baroques jusqu’à la démesure, célébrant le kitsch et la sensualité. Peter Hermansson renouvelle la technique du graal – superposition de couches de verre coloré – inventée à Orrefors, en l’infusant d’images issues du graffiti, brouillant la beauté limpide de visions plus sombres. Fredrik Nielsen, figure punk, traite le verre comme une toile brute, éclaboussée de tags et d’énergie, parfois griffée de son propre numéro de téléphone. Enfin, Kirsten Vikingstad Hermansson oppose au cristal raffiné des blocs massifs, rugueux, saturés de couleurs, affirmant un pouvoir minéral.
La force de ces créateurs réside dans un rapport viscéral à la tradition. Ils connaissent l’histoire fastueuse du verre suédois, mais choisissent de la bousculer. Là où leurs aînés visaient la perfection et la production en série, ils privilégient l’objet unique, le corps-à-corps avec la matière. Ils évoluent dans un écosystème fragmenté – ateliers indépendants, micro-verreries – qui favorise une liberté sans précédent. La fragilité économique devient paradoxalement un terrain fertile pour l’expérimentation.
Plus qu’une exposition d’objets, « Blazing Grace » est une véritable expérience. Performances de soufflage, visites commentées, dialogues avec le public : tout concourt à transformer la visite en immersion dans une matière vivante, imprévisible.
Le choix de Paris n’est pas anodin. L’Institut suédois, installé dans un hôtel particulier du Marais depuis 1971, est le seul institut culturel de la Suède à l’étranger. Il joue un rôle de passeur entre héritage nordique et scène contemporaine. Avec « Blazing Grace », il devient fournaise créative, rejouant l’histoire du verre comme une partition rebelle.
Au fond, l’exposition pose une question essentielle : que peut le verre aujourd’hui ? Ni simple objet décoratif ni pur produit de série, il devient langage critique, surface de mémoire et matière insurgée. En convoquant l’urgence du désir et l’imperfection assumée, ces cinq voix affirment que la Suède ne se contente pas de revisiter son âge d’or, choisissant d’enflammer son héritage pour mieux sculpter l’avenir.
« Blazing Grace »
Institut suédois
11, rue Payenne, Paris 3e
Peter Hermansson. Photo Maddoc Photography
Fredrik Nielsen. Photo Ambrose Benedict