Claude Gassian a toujours préféré les coulisses aux projecteurs. On le croit photographe de la scène rock, lui qui a suivi Prince, les Rolling Stones, The Cure ou Patti Smith. Mais son vrai sujet n’a jamais été la scène. Ce qu’il cherche, c’est ce moment fragile où l’artiste baisse la garde ; quand l’icône s’efface pour laisser place à la personne – une simple présence, presque anonyme.

Dans les salles de concert, Gassian ne s’attarde pas sur les guitares ou les micros. Il attend le silence. Ses images les plus célèbres – Patti Smith au cimetière du Père-Lachaise, Madonna appuyée contre un mur parisien, Mick Jagger seul sur une chaise vide – témoignent de ce goût pour l’instant arrêté. Pas d’hystérie, pas de foule, juste une silhouette, presque une absence.
L’exposition « Ailleurs, exactement », présentée à la galerie Rabouan Moussion, ne fait que confirmer cette recherche du moment vrai, de l’être dissimulé sous les paillettes. Le commissaire Thierry Raspail y orchestre cinq ensembles : les « Portraits », bien sûr, mais aussi les « Tracés électriques », les « Pas », les « Autoroutes » et les « Diptyques ». Chacun raconte la même histoire : celle d’un photographe qui regarde ailleurs, exactement là où personne ne pense à poser les yeux.

On croit connaître ses portraits, mais les voir réunis, c’est comprendre leur logique : Gassian ne cherche pas l’icône, mais la faille. Il arrive tôt, observe la lumière, repère un escalier, un couloir, un angle oublié. Puis il place l’artiste dans cet espace qui ne lui appartient pas, où il semble en transit. C’est dans cette dérive légère, ce déplacement infime, que naît la justesse de l’image.
Les « Tracés électriques » paraissent plus éloignés de ce travail. Et pourtant, ce sont aussi des portraits à leur manière ; pas d’êtres humains, mais de fils qui se croisent, des lignes suspendues dans le ciel comme des calligraphies. On dirait des dessins d’encre, fragiles et tenaces à la fois. Un jour, ces câbles disparaîtront. Gassian les saisit avant qu’ils ne s’effacent.
Dans les « Pas », il suit des silhouettes qui traversent les rues. Rien de spectaculaire : juste des ombres, des passages. La foule devient une collection de présences fugaces. Si l’on devine une histoire derrière chaque démarche, elle nous échappe aussitôt. L’anonyme a le même poids que la célébrité. C’est peut-être là la grande leçon de Gassian : personne n’est plus visible qu’un autre.


Les « Autoroutes » prolongent ce mouvement. Floues, bleutées, elles transforment le béton en paysage onirique. La vitesse se mue en lenteur. On regarde ces routes comme des horizons de peinture. On oublie le vacarme des voitures, on entend presque le silence.
Quant aux « Diptyques », ils montrent une autre facette de son travail : le montage. Deux images, souvent prises à des années d’écart, dialoguent. Un musicien d’un côté, une ombre de l’autre. Une silhouette et une architecture. Rien n’était prévu, mais tout s’accorde. Ces couples forment des histoires nouvelles, comme si la photographie continuait à vivre après le déclic.
Claude Gassian aime dire qu’il ne photographie pas l’instant, mais la durée. On le croit. Dans ses images, il y a toujours une lenteur, un passage, une transition. Même les musiciens les plus célèbres semblent attendre quelque chose, comme suspendus entre deux mondes. Peut-être est-ce là le vrai sujet de son œuvre : cet espace fragile où l’on n’est ni ici, ni ailleurs, mais « ailleurs, exactement ».
Claude Gassian – Ailleurs, exactement, Galerie Rabouan Moussion
11, rue Pastourelle, Paris 3e
Du 18 octobre au 22 novembre 2025
rabouanmoussion.com








