LA POÉTIQUE VISUELLE ET DIARISTIQUE
Dans sa nouvelle série Touching, la photographe suédoise, basée à Londres, nous emmène dans ses récits intimes dans un jeu de juxtapositions aux multiples niveaux de lecture.
Depuis plus de vingt ans, Lina Scheynius fait de son parcours photographique un univers intime et délicat, onirique et poétique, décomposant et capturant différents moments de sa vie personnelle, avec un véritable œil pour la lumière. Nature morte, nudité, sexe, grossesse… ses approches intimistes sont à leur paroxysme dans une atmosphère subtilement sophistiquée. C’est à l’âge de 19 ans que cette ancienne mannequin décide d’expérimenter la photographie, lorsqu’elle quitte la Suède pour Londres. Elle trouve l’inspiration chez Nan Goldin, Nobuyoshi Araki, Corinne Day, Juergen Teller, partageant son travail sur Tumblr et Flickr mais se détachant d’Instagram à cause des multiples censures et autres shadow banning. Sa vision l’a très vite amenée à collaborer avec des magazines de mode (Vogue, Dazed) etdes marques (Jil Sander, joaillier Tabayer), laissant une place prédominante à ses projets plus personnels.
Art et vision doubles
Si Lina Scheynius a toujours autoédité ses séries, la maison d’édition indépendante JBE Books, fondée à Paris, a publié en 2019 un coffret complet regroupant tous ses ouvrages photographiques, de 2008 à 2018. Après My Photo Books, cette virtuose de 43 ans continue ainsi son exploration du corps avec Touching. Mais à la différence de ses précédents travaux, elle présente pour la première fois un récit littéraire, qui change le rythme et accompagne les images, offrant un éclairage et une réflexion plus approfondie sur son processus. Comme souvent chez Lina Scheynius, l’autoportrait constitue un élément central de son œuvre. Sa série expose et réexpose, superpose et juxtapose le langage corporel à des sculptures antiques, convoquant « des siècles d’art dans un regard contemporain ». Le tout entièrement réalisé à l’argentique. Lina Scheynius y tisse ainsi « un dialogue vibrant avec son propre corps, subtil alliage entre l’organique et le minéral ».
Intemporel, un temps pour elle
Ces photos de statues en transparence, elle les a prises dans des institutions muséales. « La première fois, c’était lors de l’exposition “Rodin and the art of ancient Greece” au British Museum en 2018 », explique-t-elle. « J’ai utilisé deux pellicules : une en couleur et une en noir et blanc. Et puis je suis rentrée chez moi, je les ai remises dans mon appareil photo et je les ai filmées à nouveau contre mon corps dans le salon. Je cherchais à être surprise. Je voulais que tout se mélange et fusionne d’une manière à laquelle je n’aurais pas pu penser moi-même. » Lina Scheynius a poussé plus loin son exploration à Paris, capturant des œuvres au musée d’Orsay, au Louvre, à l’Atelier Brancusi, au musée Bourdelle, à l’Orangerie. Dans son cheminement, elle s’est laissée ainsi bercer « doucement, intuitivement » pour mieux « sentir, toucher, jouer, ouvrir ». Depuis le début de sa carrière, Lina Scheynius sonde ainsi son être corporel, intime et mental, qu’elle ne cesse de présenter dans des expositions monographiques majeures.