WHITE LOTUS : QUAND LA MODE DÉVOILE LES VRAIS VISAGES

Il est des séries qui marquent une époque, non pas seulement par leur narration, mais par la manière dont elles capturent l’air du temps. The White Lotus en fait indéniablement partie. Depuis son lancement en 2021, la série de Mike White tisse, saison après saison, une fresque humaine où se croisent privilèges, hypocrisies et dérapages de la haute société. Mais à travers ses intrigues toujours plus décadentes, un élément s’est hissé en personnage à part entière : la mode. Une garde-robe qui ne se contente pas d’habiller, mais qui révèle, nuance, exacerbe. Dans cette saison 3 tournée à Koh Samui, en Thaïlande, le vestiaire des protagonistes devient miroir social, outil de satire et, paradoxalement, déclencheur de désir.

Le style comme masque et révélateur

« Le quiet luxury ? Très peu pour nous. » Cette phrase d’Alex Bovaird, costumière en chef de la série, résume à elle seule l’intention esthétique de cette nouvelle saison. Ici, pas question de ton sur ton ou de discrétion bourgeoise. Chaque personnage crie son statut, son mal-être ou sa déconnexion à travers ses vêtements. L’ostentation n’est pas un accident ; elle est méthode.

Victoria Ratliff, interprétée avec une ironie délicieuse par Parker Posey, incarne cette posture à la perfection. Drapée dans une robe chemise Banana Republic, foulard Swaine London sur les épaules et sac Gucci Bamboo fermement serré contre elle, elle est la quintessence d’un luxe néo-colonial en pleine crise existentielle. « J’ai imaginé les looks des Ratliff comme s’ils sortaient tout droit d’un catalogue Ralph Lauren », confie Bovaird. Une élégance figée, presque hors-sol, qui refuse la chaleur, la culture et le désordre de l’Asie du Sud-Est. La robe est ici carapace.

Une vitrine pour créateurs et marques

Loin de se contenter d’un simple effet de style, The White Lotus déploie une cartographie sensible du monde de la mode contemporaine. Zimmermann, Loewe, Ciao Lucia, Alemais, Delvaux, Tara Matthews, Rachel Comey, Southern Tide… La série devient un véritable showroom en mouvement, un espace d’exposition à ciel ouvert, où chaque plan devient vitrine. Les costumes dialoguent subtilement avec les paysages – ceux de la Thaïlande, mais aussi ceux, intérieurs, de ses personnages.

C’est notamment le cas de Chelsea (Aimee Lou Wood), dont la garde-robe semble collectée au fil de ses voyages : robes crochetées venues de Goa, jupes imprimées perroquet signées Loewe, sacs JW Anderson, lunettes de soleil vintage mais signées Jacquemus. Elle porte ses vêtements comme on raconte une vie. Rien n’est posé, tout est vécu. Une subjectivité texturée qui fait écho à la démarche de la maison Jacquemus, laquelle a conçu plusieurs pièces sur mesure pour la saison – une robe rose, un sarong transparent, une jupe rayée scintillante. Ici, la fiction devient catalyseur de désir réel, et la galerie éphémère du plateau de tournage s’inscrit dans le marché.

Des t-shirts aux codes de l’élite

Mais ce phénomène dépasse les frontières du petit écran. Sur des plateformes comme Etsy ou Amazon, une autre forme d’expression émerge : celle du détournement populaire. T-shirts à slogans (« Piper, no ! », « Drink Myself to Sleep », « Pineapple Suite »), sérigraphies avec le logo officiel de la série, ou encore hommages à Parker Posey. Ces pièces, souvent vendues à moins de 40 €, recyclent l’imaginaire de la série dans un registre parodique mais affectueux.

Ce merchandising spontané témoigne d’un rapport ambigu au luxe. Les spectateurs rejouent, à leur manière, le fantasme d’un hôtel White Lotus (sans l’aspect homicide, espérons-le), troquant les caftans Loewe pour des t-shirts ironiques. En somme, ils visitent virtuellement l’hôtel-boutique de la série en enfilant des vêtements qui relèvent davantage de l’appropriation culturelle pop que de la mode de niche.

Entre satire sociale et esthétique de désir

Si The White Lotus séduit autant, c’est sans doute parce qu’elle conjugue deux approches rarement équilibrées : la critique mordante et le raffinement visuel. Sous le soleil de Koh Samui, les corps transpirent, les secrets suintent, mais les robes restent impeccables, les polos parfaitement repassés, les mocassins bien cirés. Cette tension entre le visible et l’invisible, entre le paraître et l’intime, trouve son paroxysme dans les silhouettes.

Saxon Ratliff (Patrick Schwarzenegger), héritier crétin dans son uniforme Southern Tide, semble déguisé en version low-cost de Roger Federer. Piper, dans ses robes Ralph Lauren inspirées de Brooke Shields, tente désespérément d’échapper au matérialisme familial en affichant… une autre forme de privilège. Même Belinda (Natasha Rothwell), seule survivante des saisons précédentes, venue ici pour travailler, troque son uniforme contre des caftans Verandah dès qu’elle le peut. Le style devient langage, et chaque look, un palimpseste émotionnel.

Du réel à la fiction : une mode qui reflète notre époque

Ce qui fascine enfin dans The White Lotus, c’est sa capacité à refléter la complexité de notre rapport au vêtement. Dans un monde où l’on consomme à la fois des produits et des symboles, la série offre une lecture aiguë de nos contradictions. On veut le raffinement sans l’ennui, l’ironie sans cynisme, la beauté sans le prix. Le vêtement devient le réceptacle de ce paradoxe : désirable mais dénoncé, exhibé mais moqué.

Et c’est peut-être là que réside la force esthétique de cette série : avoir su transformer un simple resort en Thaïlande en une galerie d’art vivante, une galerie d’art contemporaine éphémère, où chaque pièce textile devient un artefact de la comédie humaine.

Des experiences et une culture qui nous définissent

Ne ratez aucun article

Inscrivez-vous à notre newsletter