La 21e édition du festival dédié à la photographie au coeur de La Gacilly dans le Morbihan met à l’honneur cette année l’Australie, tout en sondant les enjeux environnementaux et sociétaux à travers le monde.
En un peu plus de vingt ans, le festival morbihannais, fondé par Jacques Rocher, a rejoint les événements photographiques les plus importants de France. Année après année, il a su participer à la vitalité d’un territoire rural, portant haut les multifacettes de la discipline. Cette 21e édition ne déroge pas à la règle avec un programme riche de plus de 800 photographies, organisé par Cyril Drouhet, commissaire des expositions. Le Festival Photo La Gacilly opère aujourd’hui un état des lieux de la fragilité de notre époque, qui a vu l’accumulation de « chocs violents et imprévisibles », entre la pandémie de Covid-19, les confinements, l’inflation, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’attaque du Hamas du 7 octobre, l’atmosphère politique et le repli sur soi. Le tout au coeur d’une Terre souffrante aux prises avec le dérèglement climatique, la perte des ressources naturelles, et l’impact des émissions de gaz à effet de serre et de l’empreinte carbone.
CAP SUR L’AUSTRALIE
« Dominer nos peurs pour préserver l’espoir », c’est par l’une de ces grandes lignes que la manifestation photographique a ouvert cette 21e édition célébrant l’Australie, rarement sous les feux des projecteurs. Plusieurs grands photographes, pour la plupart d’origine australienne, portent ainsi un regard à la fois puissant, poétique et sans artifice sur le pays d’Oz. Chacun amène sa vision, soulignant en toile de fond les problèmes les plus dramatiques de cet État insulaire de l’Océanie, comme la non reconnaissance constitutionnelle des Aborigènes depuis l’arrivée massive des colons, les feux de forêt ravageurs qui ont détruit des milliers de logements et tué plus d’un milliard d’animaux, ou encore la Grande Barrière de corail qui s’éteint progressivement. D’autres regards engagés complètent cette sélection, élargissant au reste du monde, à travers l’exploitation minière dans les pays andins, les phénomènes météorologiques extrêmes, les problématiques de l’alimentation et l’épuisement des ressources naturelles, tout en faisant place à la beauté, à la délicatesse, à la poésie et à l’espoir.
FEUX ET CONTREFEUX, PAR MATTHEW ABBOTT
Ce conteur et photojournaliste, installé à Sydney, a réalisé de nombreux reportages à travers le monde, concentrant son attention ces dernières années sur sa terre natale, l’Australie, et les pays voisins. Son oeuvre se focalise sur la crise climatique, tout en apportant un regard humaniste qui aide à une meilleure compréhension des enjeux sociaux. MatthewAbbott a reçu trois World Press Awards dont l’un est dédié à son puissant travail documentaire sur le « Black Summer », les incendies tragiques qui ont ravagé l’île-continent entre 2019 et 2020. Notamment pour son image d’un kangourou courant devant une maison en flammes. Avec cette série, il remet en exergue la technique du brûlage utilisée par les Aborigènes au-dessus de la terre d’Arnhem, dans le nord de l’Australie. Cette pratique ancestrale, employée au début de la saison sèche, aide à préserver la biodiversité et à empêcher les incendies de ravager les forêts, pour mieux amender leurs terres natales et contribuer au développement de leurs communautés.
LIEU : JARDIN DES MARAIS
SURVIVANCES, PAR AGENCE FRANCE-PRESSE
Le festival réitère son partenariat avec l’Agence France-Presse (AFP) et présente ici le travail de plusieurs photojournalistes, comme Torsten
Blackwood, Anoek de Groot, Saeed Khan et Peter Parks, centré sur l’envers du décor de la situation des autochtones d’Océanie et d’Australie. En octobre 2023, les Australiens ont rejeté une réforme qui aurait donné une reconnaissance et des droits aux Aborigènes dans la Constitution. Un peuple établi sur ces terres depuis plus de 60 000 ans, arrivé là durant la dernière période glaciaire. Les images présentées à La Gacilly font la lumière sur ces indigènes, qui représentent aujourd’hui seulement 3,8 % de la population australienne. Derrière les images folkloriques se révèlent « des citoyens de seconde zone aux yeux des autorités, des individus sous-représentés dans les instances nationales, en proie à la pauvreté, au chômage, au mal-logement ».
LIEU : JARDIN DE L’AFF
À LA RECHERCHE D’UN ÉDEN, PAR TAMARA DEAN
La pratique artistique de la virtuose australienne de 48 ans comprend la photographie, l’installation et l’image en mouvement. Tamara Dean a grandi dans le nord de Sydney sur une propriété adossée à la brousse. Depuis toujours, elle explore la relation entre les humains et l’environnement naturel, tout en faisant valoir que l’humanité n’est pas séparée de la nature, pas plus qu’elle ne lui est supérieure. Son oeuvre dépeint ainsi la beauté de ce monde pour mieux montrer tout ce que nous avons à perdre. Ce sentiment s’est accentué pendant la pandémie de Covid-19, qui s’est doublée du traumatisme des feux de brousse et de forêt du « Black Summer ». L’artiste continue ici de faire de sa signature un style où le corps est utilisé comme symbole. Elle expose ainsi une série de clichés dans des jardins où sa silhouette sert de
« point lumineux » aux paysages. Entre rêve et réalité, ses photographies sensibilisent à la fragilité de nos écosystèmes.
LIEU : JARDIN DES MARAIS
ORIGINES, PAR BOBBI LOCKYER
Cette artiste aborigène, féministe et queer est une amoureuse des arcs-en-ciel et des couleurs vibrantes. Engagée dans la défense des peuples autochtones, elle se nourrit des récits ancestraux, de la beauté de son environnement naturel, des vagues de l’océan et de son engagement profond envers sa propre communauté pour transcender les conventions. Son oeuvre offre une véritable fenêtre sur l’intime. Bobbi Lockyer utilise son art, sa mode et sa photographie pour sensibiliser aux questions de justice sociale, des droits des peuples indigènes et de ceux des femmes, mais aussi à celles de la maternité, de la transmission et du patrimoine naturel. Comme avec sa photographie de l’Uluru, imposant
monolithe rougeoyant au coeur de l’Australie, qui en est la pleine force et un véritable symbole sacré de la terre des aborigènes. Cette créative prodige a collaboré entre autres avec Nikon, Apple, Google, Warner Music, a été publiée dans des magazines comme Vogue, et sa mode a foulé le podium de la Fashion Week de Paris.
LIEU : BOUT DU PONT ET PLACE DE LA FERRONNERIE
L’APPEL DES OCÉANS, PAR NARELLE AUTIO
Cette native d’Adélaïde documente depuis plus de vingt ans les interactions entre les Hommes et les trois océans qui bordent l’Australie. Son travail subtil se concentre sur les éléments naturels, tout en développant une recherche esthétique. Narelle Autio capture l’essence des corps en interaction avec l’eau. Elle crée des images où les individus semblent à la fois portés et déformés par ce monde sous-marin, entourés de bulles d’air qui les transforment en figures surréelles, à la limite de l’abstraction. Elle porte également son attention sur les paysages filants, colorés et évanescents, souvent amenés à se perdre dans les océans. L’exposition montre aussi des images qu’elle a réalisées avec son partenaire Trent Parke, également exposé à La Gacilly.
LIEU : GRAND CHÊNE
UNE AUSTRALIE SANS FARD, PAR TRENT PARKE
Lauréat de quatre World Press Photo, Trent Parke est le premier de son pays à rejoindre l’agence Magnum. Originaire de Newcastle, en Nouvelle-Galles du Sud, le photographe de 53 ans s’est passionné pour ce moyen d’expression dès l’âge de 12 ans, utilisant le Pentax Spotmatic de sa mère et la buanderie de famille comme chambre noire. Il s’est vite fait connaître pour son travail qui sonde l’identité, le lieu et la vie familiale. Son approche documentaire se situe entre fiction et réalité, poésie et humour noir, offrant un portrait émotionnel et psychologique de son Australie natale, de l’Outback du sud à ses plages animées. L’exposition montre des images de son livre Minutes to Midnight, pour lequel il a parcouru 90 000 kilomètres à travers le pays d’Oz avec sa partenaire Narelle Autio, citée plus haut, et de sa série Welcome to Nowhere. Tous deux ont rassemblé des aperçus de villes poussiéreuses de l’arrière-pays, dans lesquelles l’impact de l’habitation humaine sur le
paysage produit des situations surréalistes.
LIEU : GRAND CHÊNE
FRAGMENTS DE LA VIE SAUVAGE, PAR ANNE ZAHALKA
Cette artiste phare de l’art contemporain australien, dont la carrière s’est bâtie sur quarante ans, est l’une des photographes les plus réputées d’Australie. Son travail explore les points de tension culturels et environnementaux, les interrogeant avec humour et un regard critique. Sa pratique artistique déconstruit des scènes familières qu’elle recrée dans des récits alternatifs, reflétant ainsi la diversité culturelle de la société australienne et l’impact écologique de la crise climatique. Son oeuvre est présentée ici pour la première fois en France. Si les espèces qu’elle capture sont menacées par l’urbanisation et les méfaits du climat, la photographe de 67 ans les transporte dans un univers fantasmagorique à travers les procédés des naturalistes d’antan.
LIEU : RUE LA FAYETTE
À TRAVERS LES VILLES, PAR JOEL MEYEROWITZ
Géant de la photographie contemporaine et maître incontesté de la couleur, Joel Meyerowitz nous invite ici à revenir sur son travail qui a sondé l’American Way of Life. Depuis plus de soixante ans, ce photographe de rue, de portrait et de paysage, aujourd’hui âgé de 86 ans, explore l’effervescence et le fourmillement urbains d’une Amérique en constante évolution. Ses images sont devenues pour la plupart des icônes de la photographie moderne. On lui doit notamment celles qui ont succédé à l’attaque du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et celles de Ground Zero, éditées dans son livre Aftermath : World Trade Center Archive chez Phaidon en 2006. « Plus qu’une simple rétrospective », explique Cyril Drouhet, commissaire des expositions, « cette exposition se veut comme un voyage à travers l’évolution et la diversification des villes des États-Unis qu’il a pu traverser au cours de sa vie. »
LIEU : PRAIRIE
DANS L’OEIL DU CYCLONE, PAR MITCH DOBROWNER
Ce photographe de 68 ans, originaire de New York et installé en Californie depuis ses 21 ans, s’est fait un nom grâce à son extraordinaire travail sur les phénomènes météorologiques extrêmes en noir et blanc. Depuis vingt ans, ce chasseur de cyclones capture la puissance impressionnante des typhons, des éclairs, des orages, des tempêtes, des nuages menaçants et des intempéries les plus violentes, qui se multiplient avec le réchauffement climatique. « Ses clichés sont des tableaux de l’apocalypse », résume parfaitement le curateur. Cette puissance du noir et blanc émane de son admiration depuis toujours pour Ansel Adams, maître de la photographie du paysage américain. Il n’a de cesse depuis lors de créer des images qui évoquent la façon dont il voit cette planète, où l’esthétique et l’énigmatique le disputent à l’émotion.
LIEU : JARDIN DU RELAIS POSTAL
NOURRIR LA PLANÈTE, PAR GEORGE STEINMETZ
Le photojournaliste américain, contributeur régulier du National Geographic, du New York Times et du magazine Geo, est réputé pour ses images aériennes spectaculaires sur les paysages et le changement climatique. Il a réalisé une quarantaine d’essais, signé une vingtaine d’articles et remporté de nombreux prix. George Steinmetz est aussi un habitué du festival La Gacilly. Il revient cette année en terre morbihannaise pour exposer sa série au long cours, Feed the Planet, fruit de dix années d’enquêtes sur l’approvisionnement alimentaire mondial dans plus de 40 pays. « Ce projet vise à montrer comment nos aliments sont produits, afin que nous puissions prendre des décisions plus éclairées », souligne-t-il. « Mais aussi la manière dont le monde peut relever le défi de nourrir l’humanité sans mettre davantage de terres naturelles sous labour. »
LIEU : GARAGE
LES DAMNATIONS DE LA NATURE, PAR ALICE PALLOT
La photographe française, qui travaille entre Paris et Bruxelles, interroge les liens entre les sciences, l’être humain et l’environnement naturel. Dans son processus créatif, elle remet en question la relation ambiguë que l’homme entretient avec la planète. Lauréate cette année du Prix Leica des Nouvelles Écritures de la photographie environnementale, soutenu par le magazine De l’air, Alice Pallot présente ici sa série Algues Maudites. Ces images mettent en lumière la prolifération des algues vertes sur les côtes bretonnes, devenue une problématique environnementale majeure. Ce projet continue ainsi de s’inscrire dans ses recherches centrées sur la fragilité et la résilience du monde naturel, qu’elle tente d’ouvrir avec des perspectives nouvelles en intégrant « la notion d’anticipation » dans une esthétique souvent futuriste.
LIEU : LABYRINTHE VÉGÉTAL
COULEURS FRESSON, PAR BERNARD PLOSSU
Beaucoup connaissent le travail de ce photographe voyageur dont la plus grande partie du travail englobe des reportages à travers la planète.
Né dans le sud du Vietnam et installé à La Ciotat depuis trente ans, l’homme aujourd’hui âgé de 79 ans s’est adonné à la photographie dès son plus jeune âge, arpentant par la suite le monde en noir et blanc. Dans sa grammaire visuelle se côtoient la subjectivité, la simplicité, le sensoriel et une rigueur de composition. Pour cette édition, le commissaire d’exposition a choisi de présenter en grand format son oeuvre moins connue : ses couleurs Fresson. Cette technique de tirage en quadrichromie au charbon s’effectue directement d’après le négatif noir et blanc. En 1967, Bernard Plossu a rencontré Michel Fresson, le petit-fils de l’inventeur, son grand-père Théodore-Henri Fresson, et a utilisé ce procédé pigmentaire, qui confère à ses paysages un aspect irréel empreint de poésie.
LIEU : RUE SAINT-VINCENT
LA MÉMOIRE DES PIERRES, PAR SOPHIE ZÉNON
Place au patrimoine rural, ou plutôt à l’évasion dans un ailleurs, hors du temps ! Dans son travail, Sophie Zénon sonde la mémoire, l’histoire, la
perte, le passage du temps à travers la relation du corps et du paysage. Cette artiste plasticienne, née en Normandie et installée à Paris, accorde une importance à l’expérimentation, à la matérialité et à l’hybridation des techniques, se déployant dans une narration polyphonique. Ici, elle a sillonné les chemins de traverse du Morbihan pour capturer les sentiers côtiers et la lande bretonne. Elle a utilisé la technique de
l’orotone, un procédé ancien de tirage photographique sur plaque de verre à la gélatine d’argent sur laquelle elle applique au pinceau une
dorure à l’or. De la chapelle Saint-Nicodème au site mégalithique de Kerzerho, les images deviennent de véritables objets précieux aux tons
noir et feu, qui font écho à des monuments sacrés.
LIEU : LABYRINTHE VÉGÉTAL
FESTIVAL PHOTO LA GACILLY – MAISON DE LA PHOTOGRAPHIE
PLACE DE LA FERRONNERIE, LA GACILLY
JUSQU’AU 3 NOVEMBRE 2024
FESTIVALPHOTO-LAGACILLY.COM