Lauréate du prix Découverte Louis-Roederer 2020, Ilanit Illouz donne à voir dans sa série Les Dolines de troublants paysages cristallisés.
Sols salins nappés de concrétions ou semés de crevasses et plantes aquatiques, photographiés en gros plan avant d’être révélés dans des bains de sel provenant de la mer Morte… les tirages aux scintillements cristallins de la plasticienne photographe apparaissent comme autant d’allégories du temps qui passe. Entre mutation et disparition, érosion et révélation. Une poétique alchimie…
Du sel, ramassé dans le désert de Judée, à proximité de la mer Morte, là où l’assèchement du lac a transformé la région en zone lunaire, Ilanit Illouz (née en 1977) a fait son outil de prédilection. Utilisé dans son atelier, après qu’elle a photographié cette vallée ravagée par la surexploitation du Jourdain, pour fossiliser ses tirages, il y apparaît à la fois comme motif et médium, « faisant scintiller l’œuvre en même temps qu’il la fige ».

Un « travail plastique au long cours » que l’artiste explique en ces termes : « J’ai investi une zone à la lisière d’Israël et de la Cisjordanie, la mer Morte constituant une frontière naturelle entre trois pays (Palestine, Israël, Jordanie). Deux pays surexploitent ce lieu quand un autre y vit sans avoir le droit d’en exploiter les ressources naturelles. Cela a pour conséquence la création de « dolines », des trous qui s’ouvrent dans le sol à mesure que la mer Morte se retire. Ce bassin aquatique, dont l’altitude est la plus basse du globe, s’assèche inexorablement. La multiplication des cratères en est l’un des symptômes les plus alarmants. En reculant, l’eau laisse derrière elle un terrain truffé de poches de sel. Au contact de l’eau douce, celles-ci peuvent s’effondrer brusquement, avalant tout ce qui se trouve à la surface. Ce territoire, fascinant par plusieurs aspects, devient une véritable métaphore de la mémoire […]1 »


Allégories de la désagrégation
Issues de cette terre déliquescente, marquée par les stigmates du temps et de l’effacement, les images de sa série Les Dolines, entreprise depuis 2016, résonnent tout particulièrement dans le contexte actuel… Roche crayeuse, Vague cristallisée, Salines ou plantes aquatiques cadrées en gros plan apparaissent comme des fantômes figés dans leur gangue de sel. Collectant les traces organiques et minérales d’une terre exsangue, Ilanit Illouz non seulement alerte sur les ravages de l’extractivisme, mais, utilisant le sel pour cristalliser ses images, rejoue aussi le processus de fossilisation à l’œuvre. Donnant une tournure presque sculpturale à ses photographies incrustées de cristaux de sel, elle leur donne aussi une dimension allégorique. Allégorie de la désagrégation, de l’effondrement des sols (et des nations ?), mais aussi de la dissolution de l’image. C’est d’ailleurs l’étude des origines de la photographie, à travers l’usage du bitume de Judée comme produit photosensible par Nicéphore Niépce, l’inventeur de l’héliographie, dès 1922, qui motiva le premier voyage de l’artiste…
Figeant la beauté de lieux instables, puisque promis à la désagrégation et à l’effondrement, Ilanit Illouz compose une ode à la fragilité et à l’impermanence.








