Pamela Hanson, le cliché-vérité des nineties

Chaque décennie possède son propre langage visuel, mais rares sont celles qui, comme les années 1990, ont opéré une rupture aussi franche avec l’époque qui les précédait. Après l’opulence sculpturale et la mise en scène quasi théâtrale des années 1980, la mode a pris un virage vers une forme de réalisme décontracté, une quête d’authenticité où le vêtement semblait enfin s’effacer au profit de celle qui le portait.

De cette décennie charnière, Pamela Hanson a été un témoin, mais aussi l’une des architectes visuelles les plus subtiles. L’exposition que lui consacre la Staley-Wise Gallery, « In the 90s », va au-delà de la rétrospective : c’est une plongée dans l’intimité d’une décennie qui, selon l’artiste, « a tout changé ».

Le regard de Pamela Hanson est avant tout une affaire de complicité. Contrairement à l’esthétique alors dominante, souvent masculine, qui plaçait le modèle sur un piédestal distant, Hanson a bâti son œuvre sur la proximité. Arrivée à Paris dans les années 1980, elle partageait le quotidien des mannequins, leurs appartements, leurs doutes et leurs ambitions. Cette immersion lui a permis de développer une écriture photographique fondée sur l’échange, non sur la pose. Ses images ne capturent pas des modèles, mais des jeunes femmes en train de vivre : un éclat de rire, une cigarette tenue avec une nonchalance étudiée, un moment de rêverie devant un miroir… Elle a été l’une des rares femmes à percer dans ce milieu à l’époque, et cela se sent. Son objectif n’objective pas : il humanise.

Ce qui frappe dans cette sélection d’images, dont certaines n’ont jamais été montrées ni publiées, c’est leur puissance narrative. Chaque cliché est un court métrage en soi. On y voit une Trish Goff en robe de soirée commander à un stand de hot-dogs à Los Angeles, créant un choc visuel entre l’ultra-glamour et le quotidien le plus trivial. On surprend une jeune Kate Moss, espiègle, nous jetant un regard par-dessus une tenture. Ces « instantanés joyeux » ne sont pas des accidents heureux, mais le fruit d’une méthode : la création d’un environnement de confiance où le naturel peut éclore. En assistant Arthur Elgort, Hanson a sans doute affiné cette capacité à saisir le mouvement et la spontanéité.

Son travail sur les Supermodels est particulièrement éloquent. À l’heure où Christy Turlington, Linda Evangelista et Kate Moss devenaient des icônes quasi divines, Hanson les photographiait avec une simplicité désarmante. Elle ne cherchait pas la perfection glacée des couvertures de magazines, mais la fêlure, la personnalité, l’humanité derrière le mythe. Ses portraits sont une conversation silencieuse, un moment de vérité suspendu où le vêtement n’est plus qu’un attribut du personnage. Les campagnes qu’elle a signées pour des géants comme Ralph Lauren ou Estée Lauder portent cette même empreinte : une élégance vivante, incarnée, jamais figée.

Alors que la mode contemporaine puise avec une nostalgie insatiable dans le répertoire des années 1990, cette exposition nous rappelle que ce style était moins une affaire de vêtements que d’attitude. C’était l’ère d’un chic « sans effort », d’un esprit libre qui résonne avec une acuité particulière aujourd’hui, à l’heure où des images parfaites et algorithmiques saturent notre quotidien. Le travail de Pamela Hanson, dont une œuvre figure dans les collections permanentes du Smithsonian American Art Museum, apparaît comme un antidote. Il nous parle d’amitié, de joie, et d’une certaine insouciance qui semble avoir déserté notre époque. Accompagnée de la parution d’une monographie chez Rizzoli, l’exposition n’est pas qu’un simple regard dans le rétroviseur, mais une affirmation de la pertinence durable d’une photographie de l’intime. Une photographie qui ne dicte pas, mais qui partage.

« In the 90s »
Staley-Wise Gallery
100 Crosby Street, Suite 305, New York (États-Unis)
Jusqu’au 8 novembre 2025

https://www.staleywise.com

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