Thomas Ruff, la photographie comme laboratoire

La galerie David Zwirner à Londres a présenté en ce début d’année quarante ans de travail de l’artiste allemand à travers son approche expérimentale de la photographie entre abstraction, lumière et technologies.

« Il n’y a pas qu’une seule façon de faire des photographies. Il y a des milliers de possibilités parmi lesquelles vous pouvez choisir… Je m’intéresse simplement au résultat et à savoir si ce dernier mérite d’être discuté. » Depuis plus de quarante ans, Thomas Ruff explore le médium photographique entre portrait, nu, paysage et architecture en manipulant tous les moyens techniques. Qu’il s’agisse « des dispositifs anachroniques aux simulateurs informatiques les plus avancés en passant par de nombreux domaines intermédiaires ». 

Ce diplômé de la Staatliche Kunstakademie de Düsseldorf s’est fait connaître dans les années 1980 pour son étude constante de la « grammaire de la photographie ». De janvier à mars, la galerie David Zwirner a mis en exergue dans ses espaces londoniens son talent d’expérimentateur assidu. Sur deux étages, l’exposition juxtaposait ses séries récentes et une sélection d’images qui retraçait sa carrière, démontrant son approche toujours plus expansive du médium. 

Jeux d’abstraction et de lumière

Au rez-de-chaussée, Thomas Ruff présentait pour la première fois deux corpus d’œuvres qui sont une extension de ses recherches sur l’abstraction photographique. Avec expériences lumineuses, l’image est ainsi abordée de manière scientifique, représentant la lumière pure à travers un spectre électromagnétique. Au sein de son atelier, il a placé des objets en verre (lentilles, miroirs, prismes) sur un tableau blanc sur lequel il fait passer des faisceaux lumineux pour en capter les reflets et les réfractions. En inversant ensuite les images numériquement, la composition forme ce jeu de lumière entre bandes et lignes dynamiques. Ses œuvres, imprimées sur des surfaces mates et veloutées, apparaissent dès lors comme des abstractions picturales. 

Avec untitled#, il s’intéresse davantage à l’expérimentation formelle. Thomas Ruff capture ici le mouvement d’une bobine d’argent en rotation devant un fond noir, puis il édite numériquement les images en appliquant en bordure un effet de halo bleu pour donner une touche vintage. Ses constructions en fil de fer sont du même acabit, photographiées pour produire des images abstraites et figuratives. Comme l’a précisé la galerie, il s’inspire des Métaformes d’Étienne Bertrand Weill, conçues à la fin des années 1950 (longues expositions enregistrant le mouvement de mobiles motorisés munis de tiges de verre, de métal et de bois) et des Rythmograms de Peter Keetman et Heinrich Heidersberger des années 1950 et 1960 (motifs lumineux complexes qui visualisent le temps et le mouvement). 

Du passé au présent

Tous ces thèmes explorés se sont retrouvés dans la seconde partie de l’exposition au premier étage, consacrée à ses œuvres passées, comme d.o.pe. ou encore negative, une épreuve inédite tirée de sa série révolutionnaire Porträts. Le parcours a poursuivi l’examen entre passé et présent. À l’exemple de Fotogramme, entièrement créée dans des chambres noires numériques. Cette série représente des formes abstraites, des lignes et des spirales dont les formations aléatoires adoptent différents degrés de transparence et d’éclairage. Il en va de même pour Substrat qui, à l’instar de sa série jpegs, prend comme point de départ des bandes dessinées et des mangas japonais trouvés en ligne pour toujours plus expérimenter la photographie. 

Thomas Ruff continue ainsi de questionner et de réexaminer les limites de la représentation photographique. Cette sélection à la galerie David Zwirner, qui couvrait quarante ans de carrière, a illustré sa façon d’aborder les potentialités du médium, rappelant par là même que celui-ci fut longtemps considéré comme une forme d’art inférieure à la peinture. Plus encore, l’accrochage a mis en avant toutes ses stratégies visuelles et ses études des genres entre processus analogique et numérique pour une exploration à l’infini.

« Thomas Ruff : expériences lumineuses »

David Zwirner Gallery

24 Grafton Street, Londres (Angleterre)

davidzwirner.com

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