Dans les salles calmes du musée d’Art moderne de Paris, une présence longtemps restée en retrait s’impose enfin : celle de Gabriele Münter. L’éclat de ses toiles, la justesse de ses lignes, la gravité de ses portraits se dévoilent au grand jour. Il ne s’agit pas ici d’une redécouverte, mais d’une rencontre différée. Du 4 avril au 24 août 2025, l’exposition « Peindre sans détours » remet sur le devant de la scène une artiste qui n’a jamais vraiment été perdue de vue par les initiés, mais qui attendait, peut-être, que le monde soit prêt à la regarder autrement.


Beim Malen
Dès les premières salles, une surprise : la photographie. Avant même les pinceaux, Münter s’initie au regard, au cadre, à l’instant. Ses clichés des États-Unis ou de la Tunisie, pris entre 1899 et 1903, révèlent un œil d’une acuité rare. Une forme de tendresse sèche s’en dégage. Les visages y sont saisis sans apprêt, les paysages dépeuplés, comme si elle savait déjà que l’essentiel, toujours, est ailleurs.
En 1906, à Paris, elle se confronte à l’avant-garde. Ses gravures, ses portraits – notamment celui, austère et magnifique, de Marianne von Werefkin – révèlent une main déjà sûre, un style qui refuse la concession. Elle expose dès l’année suivante, dans l’indifférence générale. Kandinsky, déjà, occupe tout l’espace. « Peindre sans détours » permet de rétablir un certain équilibre. Devant cette centaine d’œuvres, je comprends à quel point elle a nourri, inspiré, abrité ce qui allait devenir le groupe d’artistes du Cavalier Bleu (Der Blaue Reiter).
Puis vient la brisure. Kandinsky doit s’en aller, la guerre arrive. Münter se renferme. En Scandinavie, puis à Murnau, elle peint des paysages compacts, des portraits fermés, des intérieurs silencieux. La couleur se resserre, le geste se radicalise. Elle cache des tableaux, protège des œuvres interdites. Elle survit. Elle peint pour ne pas s’effacer.
Je sors de cette rétrospective bouleversé par sa sincérité. Münter ne joue pas, elle ne séduit pas. Elle peint comme on s’accroche. Comme Paula Modersohn-Becker, elle va droit au sujet, sans détour, sans clin d’œil. Comme Georgia O’Keeffe, elle fait du paysage une autobiographie discrète. Et comme Alexej von Jawlensky, elle cherche dans le visage la forme la plus nue d’un mystère. Mais elle n’est personne d’autre. Elle est Gabriele Münter, et cette exposition la rend enfin visible.
J’ai été saisi par une émotion presque physique devant certains tableaux : un portrait d’enfant aux yeux noirs, une scène domestique bleutée, une colline rouge qui semblait me regarder. Il y a dans son œuvre une lumière qui vous serre, une obstination tranquille, une fidélité à soi-même qui donne le vertige. Je me suis surpris à ralentir, à respirer différemment, à écouter ce que ses silences disaient. Une peinture sans bruit, mais jamais muette.
Elle n’a pas eu besoin d’éclats, de grandes révolutions plastiques. Son œuvre tient dans une économie rare : des lignes simples, des couleurs franches, des regards fixes. Mais c’est une œuvre de résistance. Une œuvre de femme qui a vécu dans l’ombre et peint dans la lumière. Loin des discours, proche du vrai.
GABRIELE MÜNTER – PEINDRE SANS DÉTOURS
Musée d’Art Moderne de Paris
Du 4 avril au 24 août 2025
© Gabriele Münter
© Adagp, Paris, 2025