GERHARD RICHTER À LA FONDATION LOUIS VUITTON

À l’automne 2025, les murs diaphanes de la Fondation Louis Vuitton s’apprêtent à accueillir l’un des plus grands peintres vivants. Du 17 octobre 2025 au 2 mars 2026, l’œuvre de Gerhard Richter déploiera ses plis et ses failles dans une rétrospective magistrale, embrassant plus de six décennies de création.

Gerhard Richter, Venedig (Treppe) [Venise (escalier)], 1985 (CR 586-3)

Dans le paysage contemporain de l’art, peu de figures suscitent comme lui à la fois le respect, l’émerveillement et l’interrogation. Né en 1932 en Allemagne, Richter n’a cessé de naviguer entre figuration et abstraction, entre l’intime et le politique, comme s’il tentait, sans jamais se fixer, de circonscrire les contours mouvants d’une réalité toujours fuyante. 

La Fondation Louis Vuitton, qui avait déjà présenté certaines de ses œuvres lors de son ouverture en 2014, lui consacre aujourd’hui un hommage à la hauteur de sa carrière, réunissant près de 270 œuvres dans un parcours chronologique pensé comme un récit visuel de la deuxième moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Un récit fragmenté, mais cohérent, où chaque décennie porte en elle la mémoire de la précédente, et le prélude des questionnements à venir.  

Dans les premières salles, le visiteur découvre la période des années 1960. Des toiles grises, brumeuses, quasi photographiques s’offrent à lui, nées d’instantanés familiaux ou de coupures de journaux. Onkel Rudi (1965), en uniforme de la Wehrmacht, sourit au passé trouble. Tante Marianne (1965), tendre et poignante, convoque la mémoire des blessures muettes de l’Allemagne d’après-guerre. Avec une palette volontairement atténuée, Richter réécrit l’histoire à partir d’images apparemment banales, nous forçant à contempler, au-delà du visible, les strates de silence et les non-dits.   

Mais le peintre ne s’arrête pas à l’image. Dès ses débuts, il tente d’en ébranler les contours. Dans ses panneaux de verre, dans ses nuanciers, dans ses expérimentations optiques, Richter ne copie pas, il interroge. Il cherche dans la lumière une forme d’abstraction physique, une manière de détourner la peinture de sa vocation mimétique. Le nu, chez lui, devient architecture ; le paysage, tension ; la matière, langage. 

À mesure que les années passent, la couleur se libère : elle cesse d’illustrer, et devient sujet. Dans les grandes toiles abstraites des années 1980, le geste pictural atteint une forme d’autonomie. L’œil ne cherche plus une figure : il se perd dans les strates de peinture raclées, effacées, superposées, comme autant de couches de mémoire. Rien n’est figé. Chaque tableau semble en devenir, comme si la peinture refusait la clôture, revendiquait son droit à l’ambiguïté.

Mais Richter n’oublie jamais le monde. Il ne s’enferme pas dans l’abstraction pure. Une salle suspend le temps : la série 18 octobre 1977 (1988) glace le spectateur. Des visages flous, des corps sans vie, des cellules vides. L’artiste y revient sur le suicide collectif des membres de la Fraction armée rouge, en prison à Stammheim. Le traitement pictural n’est ni accusateur ni explicatif. Il est hanté. Le flou agit ici comme une mise à distance nécessaire, un refus du spectaculaire, une tentative d’évoquer sans exploiter. La peinture devient alors l’espace d’un deuil impossible, celui d’une génération fracassée.

Dans les dernières sections de l’exposition, le pinceau se tait, ou du moins, il se transforme. L’algorithme s’invite dans le geste. Richter compose avec les systèmes, les données, les probabilités. Avec 4900 Colors (2007), il délègue à une formule mathématique le soin d’organiser la couleur. Paradoxe ultime : plus l’artiste s’efface, plus son regard demeure. Comme si la peinture, libérée de l’ego, pouvait encore nous parler d’humanité.

Et puis vient la lumière. Celle, vibrante, presque sacrée, des vitraux de la cathédrale de Cologne. Des milliers de carrés colorés, ordonnés par un algorithme, composent un damier à la fois mystique, laïc et transcendantal. Richter ne représente pas le divin, il en organise la lumière. Il fait du hasard une foi. Un pari sur l’irrationnel. 

Cette rétrospective s’annonce comme une plongée profonde dans l’univers complexe et fascinant de Gerhard Richter. On espère y découvrir non seulement la richesse et la diversité de son travail, mais aussi ressentir la puissance de son regard, précis autant qu’énigmatique. 

L’exposition promet d’ouvrir un dialogue intime avec ses toiles, où chaque visiteur pourra se confronter à ses propres interrogations sur l’histoire, la mémoire, et la place de l’image aujourd’hui. Plus qu’un simple parcours chronologique, c’est une expérience sensible qui attend le public, une invitation à voir autrement, à sonder ce que l’art peut encore révéler dans un monde en perpétuelle mutation.

« Gerhard Richter »
Fondation Louis Vuitton
8, avenue du Mahatma-Gandhi, Paris 16e 
Du 17 octobre 2025 au 2 mars 2026

fondationlouisvuitton.fr

Gerhard Richter, Betty, 1977 (CR 425-4)

Gerhard Richter, Lesende [Femme lisant], 1994 (CR 804)

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