Avec ses dessins, peintures, volumes et installations, l’artiste d’origine coréenne transforme l’espace, de l’infiniment petit au monumental, et convoque l’imaginaire, propulsé dans une chorégraphie chamanique entre force et délicatesse.
Une vie au service de l’art, ou l’art comme manière de vivre ? Pour Min Jung-Yeon, la question ne se pose pas : « J’ai commencé très petite ; à trois ans je faisais déjà des dessins en trois dimensions. En découvrant mon ventilateur ainsi représenté, mon père m’a trouvée douée pour l’observation et la restitution, et m’a immédiatement donné un professeur. Depuis, cela n’a jamais cessé », confie l’artiste coréenne. Travaillant assidument les techniques de dessin et de peinture pour remporter en 1997 le difficile concours de l’université Hongik, à Séoul, elle achève sa formation en arts plastiques avec un parfait savoir-faire, mais cherche encore sa voie. « J’ai voulu partir de mon pays pour trouver un mode de pensée différent et je suis arrivée en France pour son ouverture de pensée et la richesse de sa culture. C’est un pays où passé et présent cohabitent, et cette notion de temps est très intéressante pour moi », explique l’artiste qui renchérit : « C’est encore plus vrai à Paris, où se croisent des personnes venant d’horizons très différents. » L’enseignement de l’école des Beaux-arts, qu’elle rejoint en 2002 et où elle suit les cours de Jean-Michel Alberola, l’a poussée dans ses retranchements, l’incitant à rechercher l’audace dans sa pratique artistique. L’étude de la philosophie de Gilles Deleuze l’y a beaucoup aidé, son concept de rhizome l’inspirant particulièrement pour rechercher et démultiplier les connexions transversales de la pensée et de l’art. Encore étudiante, Min Jung-Yeon est remarquée par la galeriste Kashya Hildebrand, grâce à laquelle se tient sa première exposition personnelle, « Passages », présentée à New York deux mois après l’obtention de son diplôme, en 2006.
Les étoiles ont continué à s’aligner pour l’artiste, représentée depuis 2010 par la Galerie Maria Lund. Min Jung-Yeon est passée des théories de Nietzsche à celles d’Einstein : depuis dix ans, elle associe l’astronomie et la physique quantique à la philosophie. Ces cinq dernières années l’ont vue renouer avec ses racines à travers le taoïsme, dont elle revisite les récits symboliques et les rituels chamaniques. L’espace-temps est au coeur de son travail, au même titre que les notions de coexistence et de dualité : deuxième et troisième dimensions s’y croisent, la réalité se mesure à l’imaginaire, les droites côtoient les courbes, et la nature se transforme en humain… La spiritualité domine sa démarche, mettant les matériaux au service de son langage visuel, et le format de ses oeuvres – du plus petit dessin à l’installation monumentale – dépendant de ce qu’elle souhaite exprimer. Au coeur de sa pratique, le dessin lui a permis de remporter le Prix des partenaires du musée d’Art moderne et contemporain (MAMC+) de Saint-Etienne Métropole en 2012, ce qui lui a valu sa première exposition muséale « Demander le chemin à mes chaussures », présentée la même année au MAMC+. Loin de se reposer sur ses lauriers après ce nouveau jalon dans sa carrière, Min Jung-Yeon a continué à faire évoluer son travail. Chaque nouvelle exposition, synonyme d’exploration, lui a permis d’expérimenter une nouveauté technique.
© Courtoisie de Min Jung-Yeon & Galerie Maria Lund, Paris / Photo : Thierry Estrade
© Courtoisie de Min Jung-Yeon & Galerie Maria Lund, Paris / Photo : Thierry Estrade
En lui donnant carte blanche, en 2019, le musée national des Arts asiatiques – Guimet lui a permis de sortir du cadre avec sa première installation, Tissage, faisant disparaître les notions de temps et d’espace en plongeant le visiteur dans une forêt de bouleaux dessinés, décomposée par un miroir. « En y travaillant, j’ai été absorbée par le format du dessin, je vivais devant, j’étais possédée tout en ressentant une sensation de liberté », se souvient l’artiste. Repensée pour « L’art chemin faisant », un parcours contemporain qui lui permet de déployer l’éventail de son talent dans six lieux de Pont-Scorff, en Bretagne, l’oeuvre trouve son développement dans trois salles qui lui ont demandé deux mois de travail. Cette fois, sa forêt est le cadre d’une métamorphose, celle du gigantesque poisson devenu oiseau pour pouvoir voler au-dessus des eaux, comme le relate le conte taoïste de Tchouang-tseu.
D’abord dessiné, il est ensuite évoqué par un amoncellement de vagues de plumes de papier éparpillées à l’infini, La Mer blanche dans laquelle s’immerge le visiteur. Brouillant les pistes entre réel et illusion, signifiant et signifié, Min Jung-Yeon a également été inspirée par un texte attribué au penseur chinois du IVe siècle av. J.-C., illustrant la « transformation des choses ». Après avoir rêvé qu’il était un papillon, le philosophe s’interroge sur sa véritable identité : celle de l’homme s’étant rêvé en papillon, ou du papillon rêvant qu’il est un homme… Titré « Autres Soleils », ce solo show ouvre les portes de différents mondes, miroir du parcours de l’artiste à la double culture coréenne et française. Peinture murale, tunnel sonorisé ou encore installation vidéo constituent autant de moyens d’y pénétrer. C’est au Suquet des artistes, à Cannes, en 2023, qu’elle a travaillé pour la première fois le support vidéo dans son exposition « Effluves d’un temps éphémère ». Jouant avec deux espaces-temps, entre réalité et fiction, elle mariait alors ses dessins transformés en images numériques en mouvement, aux improvisations d’une trompette inspirée par son art. Aimant mixer elle-même les sons, elle souhaite aujourd’hui prolonger et approfondir ce travail d’animation en y intégrant voix et percussions : ces dernières « ont un rôle de passeur entre les scènes, dans la technique traditionnelle du chant lyrique coréen », explique l’artiste, qui tournera ainsi une nouvelle page à la recherche d’harmonies inédites.
@MINJUNGYEON23
@GALERIEMARIALUND
@ATELIER_DESTIENNE
« AUTRES SOLEILS » PARCOURS D’ART CONTEMPORAIN « L’ART CHEMIN FAISANT »
ATELIER D’ESTIENNE – CENTRE D’ART CONTEMPORAIN
1, RUE TERRIEN, PONT-SCORFF – JUSQU’AU 22 SEPTEMBRE 2024
ATELIER-ESTIENNE.FR
EXTRAIT DE LA VIDÉO EFFLUVES D’UN TEMPS ÉPHÉMÈRE (2023) – CRÉATION SONORE TROMPETTE : PASCAL REYMOND
MIX SONORE : CHRISTOPHE DAL SASSO – MONTAGE VIDÉO : WON EUN-JI