Avec cette septième saison, Black Mirror abandonne l’effet miroir pour tendre l’oreille à nos battements de cœur. Moins dystopique, plus viscérale, la série culte de Charlie Brooker explore des récits de fragilité humaine dans un monde où la technologie ne fait plus peur : elle fait partie du décor. Et si le vrai sujet n’était plus la machine, mais ce que nous sommes prêts à abandonner pour continuer à avancer ?

La dystopie a changé de peau
Il fut un temps où Black Mirror nous terrassait par sa lucidité glaciale. Où chaque épisode était un électrochoc, une alarme. Aujourd’hui, la série opère un virage inattendu. Elle ne crie plus : elle murmure. Elle ne nous accuse plus : elle nous tend la main. Saison après saison, la peur de la machine a cédé la place à quelque chose de plus intime. Et cette septième saison, tout juste arrivée sur Netflix, en est la preuve la plus bouleversante.
Charlie Brooker n’a pas calmé ses angoisses : il les a déplacées. Ce ne sont plus les IA, implants ou réalités augmentées qui sont au centre de la tension narrative. Ce sont les humains. Nous. Fatigués, déboussolés, faillibles.

Des récits d’âmes et d’impasses
Dans Common People, une femme doit choisir entre se soigner ou payer pour rester visible sur une plateforme qui diffuse sa vie. La technologie ici n’est pas un monstre : c’est une toile de fond. Ce qui nous happe, c’est ce dilemme déchirant. L’épisode ne parle pas d’un futur glaçant, mais du présent déjà étouffant. On y sent une fatigue sociale, une peur d’être oublié, et cette question sourde : à quoi bon vivre si personne ne regarde ?
Avec Hôtel Rêverie, Issa Rae et Emma Corrin incarnent des amants pris dans une boucle romantique d’un film des années 40, capturés dans un décor aussi sublime que factice. Leurs gestes sont parfaits, les dialogues ciselés. Et pourtant, tout sonne creux. C’est une exploration tendre et tragique de l’amour sous contrôle, de l’illusion du bonheur préprogrammé. Comme une lettre d’amour à tous ceux qui rêvent encore de vivre une émotion brute, sans filtre ni script.

L’épisode qui change tout : Bête Noire
C’est peut-être Bête Noire qui laisse la plus profonde empreinte. On y suit Maria, une femme rattrapée par une ancienne camarade de classe, Verity, qui utilise une technologie de calcul quantique pour manipuler ses souvenirs et sa perception de la réalité. Un monde où les souvenirs sont modifiés pour mieux correspondre à une norme sociale, et où la souffrance devient une variable à optimiser.
L’épisode touche un point nerveux de notre époque : la pathologisation de tout. Comme si être fragile devenait un bug à réparer. La performance bouleversante de l’actrice principale — dont la crise de dissociation finale rappelle les grandes scènes de Requiem for a Dream — révèle l’un des axes majeurs de cette saison : la technologie ne nous fait pas peur, c’est notre propre besoin de tout maîtriser qui inquiète. Notre besoin d’être parfaits, productifs, paisibles. Bête Noire nous fait comprendre que nos failles sont peut-être la dernière preuve que nous sommes encore humains.

Retour à l’utopie avortée
Et puis il y a USS Callister: Au cœur d’Infinity, suite de l’épisode culte de la saison 4. Le retour dans cet univers de science-fiction virtuelle est plus mélancolique qu’épique. Les personnages, désormais conscients de leur monde simulé, ne cherchent plus à s’échapper. Ils veulent comprendre. Créer. Aimer. Cet épisode n’est pas un espace de rébellion, mais de réconciliation : avec ce que nous sommes devenus dans ces mondes numériques. Et cela, en soi, est une utopie brisée mais précieuse.

Le miroir s’efface, reste la peau
Ce qui frappe cette saison, c’est la manière dont elle renonce à l’effet de choc. Plus de twist final assommant. Plus de gadgets clinquants. Juste des corps. Des voix. Des histoires qui pourraient être les nôtres, même si elles se déroulent dans un futur incertain. Ce que Brooker raconte aujourd’hui, ce n’est plus l’angoisse technologique, mais la solitude, le deuil, l’amour fantasmé, le besoin d’être vu.
Le miroir est peut-être toujours là, mais il est devenu flou. Et ce n’est pas grave. Car à travers cette brume, Black Mirror, saison 7, nous murmure quelque chose d’essentiel : nous ne sommes pas seuls.
