acumen_noir-2024

DEUX NUITS AU FESTIVAL NOUVELLES VAGUES DE BIARRITZ

ARTICLES SIMILAIRES

Au cinéma, certaines nuits sont plus belles que les jours. Au festival Nouvelles Vagues de Biarritz en tout cas, deux films nous ont particulièrement captivés par leur histoire nocturne. À l’occasion de la seconde édition de ce festival qui célèbre le jeune cinéma sur la côte basque, retour sur deux coups de coeur.

Eat the Night © Tandem Films

Présenté en ouverture du festival, La Nuit se traîne de Michiel Blanchart est un étonnant thriller, qui emprunte son rythme et son esthétique aux codes du cinéma américain. Une nuit, dans une grande ville secouée par d’importantes manifestations antiracistes, Mady, un jeune serrurier, est appelé pour ouvrir la porte à une jeune femme qui dit être enfermée dehors. Elle n’a aucun papier sur elle, tout est à l’intérieur de l’appartement, dit-elle. C’est louche, mais elle inspire confiance. Mady lui ouvre, mais une fois la porte déverrouillée, il réalise son erreur. Décoré de souvenirs nazis, cet appartement n’est en aucun cas celui de la jeune fille, qui disparaît avec une troublante rapidité après avoir dérobé quelque chose à l’intérieur. C’est alors qu’une machination infernale se met en marche. Coincé dans l’appartement, Mady est malgré lui complice de grand banditisme. On veut sa peau, et il a toute une nuit pour s’en sortir.

Thriller haletant, La Nuit se traîne est le premier long métrage du cinéaste belge Michiel Blanchart, qui s’était fait remarquer par ses courts métrages – et en particulier T’es morte Hélène (2020), mis sur la shortlist pour les Oscars et dont le remake format long métrage est en cours de production par Sam Raimi (et sera réalisé aux États-Unis par Blanchart lui-même). En attendant, le cinéaste explore la vie nocturne de Bruxelles comme s’il filmait Chicago ou New York. Dans ce décor de film noir se côtoient acteurs inconnus (la révélation Jonathan Feltre) et stars qui s’essayent à des rôles décalés (Romain Duris en grand méchant machiavélique). Avec ce premier film, d’un genre rare sous nos latitudes, Michiel Blanchart réussit le périlleux exercice de faire entrer les styles du cinéma américain de vidéoclub dans le cadre du cinéma francophone d’auteur. Un réjouissant exercice de style.

La Nuit se traîne, 2024 © Mika Cotellon

Prix du jury à Nouvelles Vagues après un passage remarqué à la Quinzaine des cinéastes, Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel est lui aussi un exercice de style. Le film a été présenté à Cannes comme le « Ready Player One » du cinéma d’auteur français. La qualification n’est pas usurpée, même si le long métrage du duo Poggi-Vinel est bien plus passionnant que le blockbuster de Steven Spielberg. En particulier car lorsque le couple de cinéastes évoque le jeu vidéo, il semble savoir de quoi il parle. Eat the Night suit le destin d’un frère et d’une soeur, joueurs passionnés d’un jeu massivement multijoueur en ligne, Darknoon.

Alors qu’ils y jouent depuis des années, préférant parfois – comme c’est le cas d’Apolline, la petite soeur – vivre dans le monde virtuel plutôt que dans la réalité, les développeurs du jeu annoncent fermer définitivement les serveurs dans les semaines à venir. Tandis qu’Apolline assiste, impuissante, à la fin d’un monde qu’elle a tant aimé, son grand frère Pablo tombe amoureux de Knight, un jeune homme croisé au supermarché. Très vite, Knight rejoint le fructueux petit business de trafic de drogue que Pablo mène en indépendant. Mais le jeune dealer commence à avoir des ennuis, tandis qu’Apolline est jalouse de Knight, et que le monde qui représente l’amour fusionnel entre le frère et sa soeur s’effondre.

La Nuit se traîne, 2024 © Mika Cotellon

Peuplé de comédiens méconnus mais tous excellents (Théo Cholbi, Erwan Kepoa Falé, Lila Gueneau), Eat the Night parle de jeu vidéo sans développer de thèse sur le sujet. Le jeu n’est pas la cause des problèmes de Pablo et d’Apolline et de leur famille monoparentale défaillante. Il n’est pas non plus la solution à tous les maux, et ne peut offrir qu’un insuffisant refuge. Les fervents critiques et ardents défenseurs du jeu vidéo ont l’habitude de donner aux oeuvres vidéoludiques un pouvoir qu’elles n’ont pas. Caroline Poggi et Jonathan Vinel nous le rappellent avec intelligence : il n’y a pas de vie online qui viendrait remplacer le quotidien IRL, « In Real Life », il n’y a qu’une seule vie. La solitude d’Apolline ne sera pas résolue par l’épopée de ses aventures en ligne. Mais comme toute passion, le jeu lui apportera un peu de réconfort.

Enfin, Poggi et Vinel proposent une belle réponse à l’épineuse question de la manière de filmer le jeu vidéo. En créant un monde virtuel en 3D reprenant les codes du jeu de rôle façon Final Fantasy, et en y insérant progressivement les visages des comédiens, le duo de cinéastes parvient à mêler les deux formes médiatiques de la manière la plus intelligente que l’on ait pu voir depuis longtemps. Peut-être même depuis toujours. Et si Eat the Night est peut-être davantage diurne que La Nuit se traîne, il n’en offre pas moins, dans la séquence des derniers instants du jeu Darknoon, l’une des plus terribles et marquantes scènes de nuit (ou d’éclipse) vues récemment au cinéma.

LA NUIT SE TRAÎNE DE MICHIEL BLANCHART – SORTIE EN SALLES LE 28 AOÛT 2024
EAT THE NIGHT DE CAROLINE POGGI ET JONATHAN VINEL – SORTIE EN SALLES LE 17 JUILLET 2024
NOUVELLES-VAGUES.ORG

S'inscrire
à la newsletter
acumen

footer-acumen-GJ2
FACEBOOK
INSTAGRAM
PODCASTS
© GALERIE JOSEPH 2024 – ALL RIGHTS RESERVED