ENTRETIEN AVEC KEVIN MACDONALD, RÉALISATEUR DE HIGH & LOW – JOHN GALLIANO
Nouveau documentaire de Kevin Macdonald (Le Dernier Roi d’Écosse, Whitney), High & Low – John Galliano revient à la fois sur les grandes heures de celui qui fut le directeur artistique de Dior et sur ses moments les plus sombres, liés aux propos antisémites tenus par le styliste à une terrasse parisienne en 2011.
Portrait d’un personnage complexe dépeint par Kevin Macdonald, rencontré à l’occasion du Festival du film britannique et irlandais de Dinard.
JOHN GALLIANO A-T-IL VU LE FILM ?
Oui. Dans le cadre du contrat que j’ai passé avec lui, je devais le lui montrer deux ou trois fois au cours du montage, et prendre en considération ses commentaires. Cela m’inquiétait, bien sûr. Mais il ne m’a pas demandé de changer quoi que ce soit. Je pense qu’il aime le film.
QUI EST À L’ORIGINE DU PROJET ? EST-CE LUI QUI A EU ENVIE DE PRENDRE LA PAROLE PUBLIQUEMENT SUR CES ACCUSATIONS
D’ANTISÉMITISME ?
Tout a commencé parce que je voulais faire un film sur la cancel culture (culture de l’effacement), et j’ai cherché à savoir comment faire. Je me suis dit que personne n’ayant été « effacé » récemment ne voudrait apparaître dans un documentaire… Et puis, quelqu’un m’a recommandé de parler à John de son expérience [à la suite de ses injures antisémites et racistes, Galliano a été licencié de Dior et s’est retiré pendant plusieurs années de la vie publique, ndlr]. J’ai trouvé cela fascinant. Il est un peu plus âgé que moi, mais nous sommes de la même génération. Je me souviens de ses grands triomphes à Londres dans les années 1980 et 1990, puis de son passage à Paris chez Givenchy, suivi de Dior. Il a été le premier créateur
britannique à diriger une grande maison de couture.
LE FILM NOUS AMÈNE À NOUS INTERROGER SUR CETTE FIGURE À LA FOIS GÉNIALE ET MONSTRUEUSE. QUE PENSER AUJOURD’HUI DE JOHN GALLIANO ?
Ce qui se passe souvent quand on fait un film, c’est qu’on commence par quelque chose de très général. J’avais une idée très théorique au départ. Mais en réalité, il s’agit d’un portrait. C’est une étude de caractère. John Galliano regarde l’objectif en gros plan et nous parle de sa vie, et en particulier de cet incident qui s’est produit au bar La Perle à Paris en 2011, où il a tenu des propos antisémites. Face à cela, on se questionne tout au long du film. Dit-il la vérité ? Ce n’est pas seulement un film sur la mode. C’est un film sur une question périlleuse : comment savoir ce qui se passe dans l’esprit de quelqu’un d’autre ?
DANS CE DOCUMENTAIRE, VOUS ILLUSTREZ PLUSIEURS MOMENTS DE LA VIE DE JOHN GALLIANO AVEC DES IMAGES DU NAPOLÉON D’ABEL GANCE. POURQUOI ?
Je cherchais un moyen de représenter la vie de John dans son imagination. Lorsque je l’ai interviewé pour la première fois, dans une maison au bord de la Méditerranée, il m’a dit qu’il avait adoré ce film de 1927, et que c’était l’une de ses grandes sources d’inspiration créative. Nous avons marché après l’entretien jusqu’à la mer, et il y avait des rochers. Je lui ai demandé de monter sur ces rochers, comme Napoléon dans un fameux plan du film de Gance. Cela l’a amusé. Napoléon, c’est comme un alter ego pour lui. De retour dans ma salle de montage, je me suis dit que c’était vraiment intéressant d’utiliser ces images comme un contrepoint à la réalité de sa vie.
VOTRE DOCUMENTAIRE EST RICHE EN CITATIONS CINÉPHILIQUES. IL Y A AUSSI LES CHAUSSONS ROUGES DE POWELL ET PRESSBURGER…
Emeric Pressburger est mon grand-père. J’ai pensé qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire figurer dans le documentaire ce film que
Galliano adore et qui a été réalisé par un célèbre cinéaste juif. Et puis, Les Chaussons rouges parle de l’idée d’être prêt à mourir pour son art. C’est la raison pour laquelle il plaît à de nombreux artistes. John, je pense, a failli se tuer pour son art.
JOHN GALLIANO EST-IL UN FAN DES FILMS DE POWELL ET PRESSBURGER ?
Je pense ! Nous n’en avons parlé que très tardivement. Et quelqu’un m’a dit : « Vous savez, la seule raison pour laquelle John vous a laissé faire ce film est que vous êtes le petit-fils d’Emeric Pressburger ! »
L’INCIDENT AU COEUR DU FILM A EU LIEU DANS UN BAR PARISIEN. JOHN GALLIANO, BIEN QUE BRITANNIQUE, EST UNE FIGURE DE LA MODE PARISIENNE. ET POURTANT, VOTRE FILM N’EST TOUJOURS PAS SORTI EN FRANCE. POURQUOI ?
Le film est sorti à peu près partout dans le monde, y compris en Israël, où il a fait l’objet de nombreuses discussions. Mais il n’a en effet pas encore été distribué en France, et il semble que cela n’adviendra pas. Trois grands distributeurs différents ont voulu le faire, puis se sont retirés. Je suppose qu’ils estiment qu’il est trop controversé pour une raison ou une autre, ce qui me surprend. J’associais la France à la liberté d’expression et au plaisir du débat. Je ne comprends donc pas pourquoi ce film, qui est financé par une société française, qui se déroule en France, qui traite de l’une des plus grandes industries de France, celle de la mode et du luxe, n’est projeté presque nulle part dans ce pays, sauf ici, à Dinard… Mais je suis sûr que le film trouvera sa voie !
HIGH & LOW – JOHN GALLIANO DE KEVIN MACDONALD
DISPONIBLE SUR MUBI AUX ÉTATS-UNIS ET AU ROYAUME-UNI
INÉDIT EN FRANCE