Chef-d’oeuvre du cinéma français des années 1960 qui a inspiré notamment L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam (1995), La Jetée de Chris Marker (1963), film de science-fiction où le voyage dans le temps est prétexte à une passionnante réflexion sur la mémoire, est enfin disponible en Blu-ray, dans une magnifique version restaurée.
Parfois, les grands films du cinéma peuvent être très courts. C’est le cas de La Jetée. Le chef-d’oeuvre de Chris Marker ne dure que vingt-huit minutes, ses personnages n’ont pas de nom et le film ne comporte qu’une toute petite séquence de quelques secondes véritablement filmée. Tout le reste se raconte par la musique (et notamment la liturgie russe du Samedi saint, interprétée par les choeurs de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky, qui donne des frissons), par la voix off de Jean Négroni sur un texte magnifique de Chris Marker, et par les photographies. On appelle cela un « roman-photo ».
On l’a peut-être oublié tant les activités artistiques de Chris Marker ont été nombreuses (écrivain, cinéaste, auteur multimédia…), mais il était aussi
photographe. Accompagnant les troupes américaines à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a photographié certains bâtiments en ruine de villes détruites. Ces images ont été utilisées dans La Jetée pour représenter les destructions de la Troisième Guerre mondiale, comme si la ruine n’avait pas d’époque, était toujours hors du temps. Cette réflexion autour du temps et des souvenirs, au coeur de La Jetée, a été inspirée à Chris Marker par un autre film, qu’il cite explicitement et auquel il reviendra souvent dans sa vie (le temps d’une longue séquence de Sans soleil, notamment) : Sueurs froides. Le film d’Alfred Hitchcock n’est sorti que quatre ans avant que Chris Marker ne réalise ce court métrage, mais il faisait déjà partie pour le cinéphile du panthéon cinématographique. Il reproduit la séquence où Madeleine (Kim Novak) montre à Scottie (James Stewart) la durée
de sa vie dans une coupe de sequoia. Mais nous ne sommes plus dans la baie de San Francisco, mais au Jardin des Plantes. Et cette fois-ci, l’homme montre à la femme un point situé en dehors de l’arbre : il vient du futur.
Pour les photos, l’homme est interprété par le peintre et sculpteur Davos Hanich. La femme, c’est Hélène Châtelain, la compagne d’Armand Gatti, écrivaine libertaire engagée. On y voit aussi le directeur de la Cinémathèque royale de Belgique, l’éminent critique Jacques Ledoux, ou encore le photographe William Klein. Chris Marker travaille avec ses amis, qui représentent le milieu intellectuel dans lequel le jeune cinéaste évoluait alors. La Jetée est ainsi non seulement un grand film de l’histoire du cinéma, mais aussi une formidable porte d’entrée dans l’oeuvre et la vie de cet artiste si singulier. Pour mieux le connaître, les éditions Potemkine proposent de nombreux bonus dans leur coffret, dont une passionnante et précise analyse du film et de sa place dans l’oeuvre de Marker par Jean-Michel Frodon. Plus amusant, un autre complément nous invite dans les rues de Tokyo à découvrir un bar inspiré par le film. De Sueurs froides aux rades japonais en passant par le CD-Rom Immemory, développé par Chris Marker en 1997, les inspirations et références de La Jetée apparaissent ainsi infinies, et se perdent comme dans une spirale, la spirale du temps.
LA JETÉE DE CHRIS MARKER EN DVD ET BLU-RAY – ÉDITIONS POTEMKINE
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