INTERVIEW : MEGAN NORTHAM

Rencontre avec Megan Northam, l’actrice d’un cinéma d’auteur français qui monte, à Cannes pour le film de Harris Dickinson, Urchin, et dans les 10 to Watch d’Unifrance.

François Berthier : Parle-moi de ta première fois au cinéma.

Megan Northam :
2011. Yann Gonzalez. Un film qui s’appelle Nous ne serons plus jamais seuls, un film muet qui se passe dans une espèce de rave party de jeunes dans un blockhaus à Nantes.

Ah, c’était ta première expérience… de tournage ?
De toute ma vie, oui.

Ah non, moi je parlais de la première fois ou tu es allée au cinéma.

Ah, pardon ! J’y ai repensé récemment et franchement, je sais pas exactement. Je pense que c’était La Belle et la Bête de Jean Cocteau, au Cinématographe à Nantes. Et peu après, Kirikou.

Tu avais quel âge ?
Je dirais 4-5 ans max. Je suis de 1995 et Kirikou, c’est 1998 je crois.

Ce sont tes parents qui t’y emmenaient ?
Ouais. J’ai pas pris la voiture toute seule, hein (rires). Et puis aussi, à Nantes, on a de la chance : on faisait plein de sorties scolaires dès la maternelle. Festivals de cinéma, de musique, de sport… Il y a des cinémas d’art et d’essai qui tiennent encore debout – ça se bat, mais ça tient. On y voyait des films, des avant-premières, avec des gens qui parlaient, des mini conférences… c’était hyper vivant.

Est-ce que ça, ça t’a donné envie de faire du cinéma ?
Pas tout de suite. J’étais curieuse, fascinée par l’envers du décor. Une fois, un type m’a montré les bobines avant une séance : je voyais ces rouleaux projeter un film dans une autre salle, je comprenais rien, je croyais que c’était un spectacle d’ombres chinoises. (rires). Mais ce qui m’a vraiment donné envie, au début, c’est la musique. On n’avait pas la télé à la maison, sauf une vieille Sony planquée, pour une VHS le dimanche. J’avais choisi Barry Lyndon parce que c’était le plus long. (rires) À l’époque je pigeais pas tout, mais plus tard, je me suis dit : « Ah ouais, c’était costaud. » Et je me souviens de l’entracte : j’étais trop contente, genre « Yes, une deuxième partie ! »

Tu as joué en anglais, c’est un truc qui t’attire ?
Oui ! Je l’ai fait pour la première fois l’été dernier, à Londres, pour le premier film réalisé par Harris Dickinson. C’est un acteur, il a joué dans Triangle of Sadness.C’est un film social. Il joue un mec qui vit dans la rue. Et moi je joue une fille marginale, qui vit dans une caravane. Elle croise son chemin.

Une histoire d’amour ?
Non. Et j’étais contente que ce soit pas ça. C’est un peu une histoire de cul et de soutien, tu vois. Genre : on passe une nuit ensemble, quelques jours peut-être… Et après chacun reprend sa route. Et je me rappelle lui avoir dit : « Cool. » C’est un film qui finit bien, justement parce qu’ils ne finissent pas ensemble.

C’est quelque chose que tu aimerais reproduire, ce tournage à l’étranger ?
Oui, carrément. J’ai adoré bosser avec eux, voir comment ça fonctionne ailleurs. Et puis, c’était le pays de mon père, donc forcément, ça me tenait à cœur. Lui, il ne bosse pas dans le cinéma, mais j’avais envie de voir comment ça se passait là-bas. Ce n’était pas un gros film, donc ça ne changeait pas radicalement de la France, mais même si je parle bien anglais, le fait de ne pas être dans ta langue… ça te fait travailler ton cerveau autrement.

Tu joues différemment en anglais ?
Oui, je pense. J’étais super stressée. En plus, le réalisateur jouait beaucoup sur l’improvisation, et moi, déjà en français, l’impro c’est pas mon kiff… Alors en anglais, c’était le grand saut ! Mais en fait, comme c’était l’inconnu total, j’ai adoré. Je suis dans ce métier aussi pour ça. Ma vie, c’est comme ça : il y a un trou noir, je tourne autour deux ou trois fois… mais je finis toujours par sauter dedans. C’est flippant à dire, mais les trous noirs m’aspirent. L’inconnu m’attire, je me jette dedans.

Tu as ce côté un peu anticonformiste. Tu le reconnais ?
Peut-être. C’est pas à moi de le dire, mais je l’entends souvent. C’est vrai que je rentre pas trop dans les cases. Et parfois, c’est les autres qui te voient mieux que toi-même. Tu vois, je fais souvent ça, je projette beaucoup sur les gens. Peut-être parce qu’on a des parcours qui se ressemblent, dans la façon de réfléchir, de vivre.

Tu te projettes dans une carrière à Hollywood ? Marvel, tout ça ?
(Rires) Non mais tu te fous de moi, là ? Hollywood, ça me fait pas rêver. En revanche, j’adore tout ce qui est physique. Je suis tout le temps dans ma tête, ça tourne trop, ça fait des nœuds. Et à force d’aller creuser, j’ai l’impression qu’un jour je vais me choper un cancer. Donc quand on me demande un truc physique, je suis à fond. Ça me sort de la tête.

Revenons à ton parcours. Tu es passée de l’indépendance à une semi-célébrité avec cette nomination aux César. Tu vois ça comme une case ?
C’est marrant que tu dises « case ». Parce que c’est un peu ça. On essaie vite de te mettre dans un moule. Les gens manquent parfois de créativité, donc quand une nouvelle tête débarque, ça les excite… puis ils veulent vite la ranger dans une case. On m’a tout de suite comparée à d’autres actrices.

À qui, par exemple ?
Uma Thurman, plusieurs fois. Plutôt physiquement, hein. 

Tu t’es sentie objectifiée ?
En tout cas, j’ai jamais eu le sentiment d’être « très jolie » selon les standards. Mais je sais que je m’en sors autrement. Le cinéma que j’aime, il s’attache à ce que tu racontes avec ton corps, ton visage. Mes gros cernes, par exemple, je les adore. Ils donnent un regard à l’écran. Les réals viennent chercher ça. Mais au début, on a voulu me lisser. 

Tu as refusé des rôles ?
Beaucoup. Surtout les rôles où j’étais juste « la copine de », ou celle qui aide le héros masculin à évoluer. Des rôles sans consistance, sans histoire propre. Moi, que je sois une femme ou un homme, j’ai envie de rôles qui racontent quelque chose du début à la fin.

Tu trouves que les femmes sont encore cantonnées à ces rôles-là ?
J’ai l’impression de moins en moins. Après, je suis née à cette époque-là, donc je parle avec ce que j’ai vu de mes propres yeux. Par exemple, j’ai revu Certains l’aiment chaud avec Marilyn Monroe, un film que je regardais quand j’étais petite. À l’époque je trouvais ça trop cool, mais là, en le revoyant, je me suis dit : « Oh, mais la pauvre, en fait… »

Tu parles de la scène dans le train ?
Exactement ! C’est hyper drôle, tout ce que tu veux, mais les blagues tournent autour de ses seins, de son cul, de sa bouche pulpeuse, de sa blondeur, tu vois. Et du coup, je suis contente d’arriver dans un moment où ça ne se passe plus trop comme ça. Du moins en France, dans le cinéma un peu indépendant, d’auteur.

Alors justement, avec les César et tout ça… Est-ce que t’as pas peur qu’on essaie de te « récupérer » ?
Je crois que j’ai créé des bases, là, sur cinq ans. On peut me changer, me changer physiquement. Et si un jour je dois jouer une meuf qui danse dans un cabaret, ok ! Je prends des cours de pole dance, je fais des trucs, j’expérimente la féminité et la sensualité. Je crois que je suis un peu plus robuste depuis quelque temps. Je suis pas sûre qu’on puisse m’envoyer faire tout et n’importe quoi. Faut juste que ça ait un peu de sens. Pour le monde, pour le public – parce que c’est un peu pour ça qu’on fait ce métier –, et aussi pour moi, égoïstement, parce que je vais quand même passer deux ou trois mois sur un tournage. Donc bon…

Tu es plutôt le genre d’actrice qui cherche des rôles totalement opposés à ce que tu es, pour vivre des choses nouvelles ? Ou tu vas vers des rôles qui te rassurent, qui sont proches de toi ?
Je crois que j’aimerais bien les deux. Mais ce qu’on m’a proposé de base… Je sais pas si c’est une question de tempérament, mais j’ai l’impression que c’était pas forcément proche de moi. Sauf que j’ai tellement mis de moi dedans. Je pense que je suis un peu envahissante là-dessus (rires). Mais bon, écoute, apparemment ça va, ça plaît, ça fonctionne, donc ok. Mais ouais, je donne beaucoup de qui je suis.

Pour l’instant, tous les rôles que j’ai faits, à part Rabia, ils m’ont quand même reconnue dedans. Dans la colère extrême, par exemple, ils m’ont vue. Il y a toujours un truc qui accroche.

Je pense que tous les rôles que j’ai joués sont très proches de qui je suis. Même si, dans ma vie, je suis beaucoup plus introvertie.

Justement, avec ce côté introverti, tu serais partante pour faire des choses complètement à l’opposé ?
Carrément. Mais est-ce que ça fonctionne, ça ? Parce que moi je suis pas sûre que ça fonctionne souvent, ce truc de : « Y a plein d’acteurs, plein d’actrices, pourquoi on irait se faire chier à prendre une actrice qui colle pas au rôle, mais dont on sait qu’elle a du potentiel et qu’elle peut travailler ? »

Pourquoi pas, hein. Ouais, mais… non. En France, on aime bien les gens dans des cases. C’est peut-être pour ça aussi que j’aimerais bien aller à l’étranger. Genre, moi je sais que le cinéma danois, j’adore. J’aimerais trop travailler avec Thomas Vinterberg. J’aime trop. Après… ouais, c’est plus simple.

Bon alors, quelle est ton actu ? Tu m’as dit que tu tournais une série. Tu peux en parler ?
Ça s’appelle Des vivants, de Jean-Xavier de Lestrade. C’est une série sur les otages coincés dans le Bataclan. Voilà. C’est gai (rires). Et c’est sur l’après. Sur les otages, mais aussi sur les victimes collatérales. Tu vois, quand t’es la copine de quelqu’un qui a vécu un truc comme ça, ou la mère, ou le pote, ou n’importe. C’est un film choral. Moi, je joue pas une otage, je joue la copine d’un mec qui a vécu ça. Et nos personnages, là, c’est un peu le noyau du film choral. On joue des personnes qui existent encore aujourd’hui. Les survivants du Bataclan.

Tu les as rencontrés ?
Oui, vite fait. Et je pense que moi-même j’ai besoin de garder une certaine distance. Parce qu’on ne fait pas un documentaire. Sinon on aurait pris ces personnes-là pour jouer leur propre rôle. Et je m’autorise pas à prétendre savoir ce qu’elles ont ressenti. Ça doit être un bordel. Donc je m’en éloigne un peu. Ça sortira le 13 novembre 2025. Le jour anniversaire des attentats. Sur France 2.

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