Invitée du festival du film de La Baule, dédié à la musique au cinéma, Rebeka Warrior – connue notamment pour ses groupes Sexy Sushi ou Kompromat – signe ses premières bandes originales de films pour deux longs métrages radicalement différents. D’un côté, le portrait réaliste de la jeunesse contemporaine à travers le destin croisé de deux correspondantes dans Langue étrangère de Claire Burger. De l’autre, l’épopée amoureuse et fantaisiste d’une pop star et d’une icône de la musique underground dans Les Reines du drame d’Alexis Langlois. Rencontre.


VOUS AVEZ FAIT DE LA MUSIQUE POUR LE THÉÂTRE, NOTAMMENT OUTREMONDE DE THÉO MERCIER ET SHOWGIRL DE MARLÈNE SALDANA ET JONATHAN DRILLET. C’EST DIFFÉRENT DE FAIRE DE LA MUSIQUE POUR LE CINÉMA ?
Disons que le théâtre m’a amenée au cinéma. J’ai initialement eu des groupes de musique, pendant très longtemps, et j’en ai encore, comme Kompromat. Mais pendant la COVID-19, les lives se sont arrêtés, j’ai eu un creux, et Marlène et Jonathan m’ont proposé de faire Showgirl. Et de fil en aiguille, après le théâtre, on m’a proposé des films.
CELA A COMMENCÉ AVEC LE FILM DE CLAIRE BURGER, LANGUE ÉTRANGÈRE. COMMENT L’AVEZ-VOUS RENCONTRÉE ?
On s’est croisées chez des amis communs, et on a sympathisé. J’aimais beaucoup son travail, donc je lui avais demandé un clip pour Kompromat. Et lorsqu’elle a écrit ce nouveau film, elle a pensé à ma musique.
COMMENT AVEZ-VOUS CONÇU CETTE MUSIQUE ?
J’ai commencé à travailler des thèmes musicaux à partir du scénario. J’aime travailler en amont, créer des thèmes qui pourront inspirer la mise en scène. Cela me paraît important que les cinéastes puissent faire la mise enscène avec la musique en tête.
C’EST UN FILM QUI SE PASSE EN PARTIE EN ALLEMAGNE, À LEIPZIG, ET KOMPROMAT A FAIT TOUT UN ALBUM EN ALLEMAND. QUE REPRÉSENTENT POUR VOUS L’ALLEMAGNE ET LA LANGUE ALLEMANDE ?
J’ai toujours adoré la musique allemande. J’écoutais beaucoup d’EBM [electronic body music, genre musical développé en Allemagne à la fin des années 1990, ndlr], et aussi énormément de groupes post-punk allemands comme D.A.F. J’ai été bercée par la musique allemande.
LANGUE ÉTRANGÈRE EST UN FILM PLUTÔT RÉALISTE. AVEC LES REINES DU DRAME D’ALEXIS LANGLOIS, ON EST DANS UN GENRE TOTALEMENT DIFFÉRENT. COMMENT S’EST FAITE LA RENCONTRE AVEC ALEXIS ?
Avec Alexis, on est copains de longue date, on fait souvent la fête ensemble. Il avait en tête Sexy Sushi, ce groupe un peu révolté, pour dessiner les traits de caractère du personnage de Billie Kohler. Ce personnage est à la fois inspiré de moi, mais aussi de Mona Soyoc de KaS Product [groupe de cold wave français des années 1980, ndlr], qui a également participé au film. C’est donc un personnage transgénérationnel. C’est le post-punk sur plusieurs générations : KaS Product, puis moi, puis d’autres évolutions encore dans le futur…
C’EST UNE COMÉDIE MUSICALE AVEC PLUSIEURS COMPOSITEURS. VOUS AVEZ TRAVAILLÉ ENSEMBLE OU SÉPARÉMENT ?
On a travaillé tout à fait séparément ; c’est Alexis qui faisait le lien, ainsi que Pierre Desprats, qui a fait la partition générale. Moi, je n’avais travaillé que sur mes morceaux, et j’étais dans ma bulle. Là aussi, on avait travaillé beaucoup en amont, puisque les actrices devaient avoir les morceaux avant le tournage. Quand j’ai découvert le film fini à Cannes, j’étais choquée ! Choquée de bonheur (rires).
LE FILM PARLE DE MANIÈRE MÉTAPHORIQUE DE LA RELATION AMOUR-HAINE ENTRE LA MUSIQUE UNDERGROUND ET LA MUSIQUE POP, À TRAVERS L’HISTOIRE D’AMOUR ENTRE LA CHANTEUSE UNDERGROUND BILLIE KOHLER ET LA POP STAR MIMI MADAMOUR. C’EST ÉVIDENT QUE VOUS ÊTES PROCHE DU CÔTÉ UNDERGROUND, MAIS EST-CE QU’IL Y A UN PEU DE MIMI MADAMOUR EN VOUS ?
Ah non ! Moi, je suis 100 % Billie Kohler (rires) ! Et même si c’est évidemment une parodie, et que tout est poussé à l’extrême, je trouve le film assez juste dans la représentation des personnages. Je me reconnais dans cette frange de l’underground qui est décrite, avec les succès qu’on a parfois et les moments de désespoir qu’on traverse. Alors que je ne me retrouve pas vraiment dans le côté pop. Je n’aurais jamais été à la Star Academy !
MAIS CE QUE DIT ALEXIS LANGLOIS, C’EST QU’ON PEUT AIMER LES DEUX, À LA FOIS BRITNEY SPEARS, LA NEW WAVE, LE POST-PUNK…
Tout à fait ! Moi, j’aime Yelle, qui a fait des musiques d’inspiration pop pour le film. J’ai toujours écouté Yelle. On tournait en même temps, il y avait Sexy Sushi et Yelle dans les mêmes festivals, et c’était un plaisir. C’est un plaisir de l’écouter, mais ce n’est juste pas moi.
LES REINES DU DRAME EST UN FILM AVEC UNE ESTHÉTIQUE TRÈS FORTE. VOUS LE SAVIEZ AU MOMENT OÙ VOUS COMPOSIEZ LA MUSIQUE ?
Oui, parce que j’avais déjà fait, avec Lio, la musique du générique d’un court métrage d’Alexis, Les Démons de Dorothy, qui avait déjà cette esthétique très marquée. Je savais donc très bien qu’il allait y avoir d’énormes seins et des pommettes saillantes, et toute cette esthétique très
théâtrale qui me plaît beaucoup, puisque je viens aussi du théâtre.
LES B.O. QUE VOUS COMPOSEZ SONT AUSSI ÉDITÉES EN ALBUM. C’EST IMPORTANT POUR VOUS ?
Je sors mes B.O. avec le label que j’ai monté, mais je les retravaille toutes. Sur la B.O. de Langue étrangère, il y a environ quinze minutes de musique. Ce n’est pas assez pour faire un album, mais j’avais donné en amont à Claire des pistes beaucoup plus longues, et ce sont ces extended cuts que j’ai éditées dans la B.O.
IL Y A DES B.O. QUE VOUS AIMEZ PARTICULIÈREMENT ?
J’adore Mica Levi, qui fait les musiques des films de Jonathan Glazer. J’écoute beaucoup de B.O. Je me suis mise à la musique de film en écoutant Wendy Carlos, qui a fait la musique de Shining, et qui prenait des musiques classiques et les retravaillait aux synthés Moog. Je trouve
tout son travail passionnant.
IL Y A DES FILMS POUR LESQUELS VOUS AURIEZ AIMÉ COMPOSER LA MUSIQUE ?
J’adorerais travailler pour Yorgos Lanthimos ! Et dans un doux rêve, j’aurais aimé travailler avec Cocteau. D’ailleurs, c’est un peu ce qu’on a fait pour le prochain album de Kompromat qui sort à la rentrée, qui est certes un album de musique, mais très inspiré par le cinéma.
VOUS ALLEZ CONTINUER À TRAVAILLER SUR D’AUTRES FILMS ?
Oui, carrément ! Je ne peux pas trop en dire parce que ce n’est pas encore fait ; mais oui, j’ai des projets de musique pour d’autres longs métrages, et pour le théâtre aussi.
AU FESTIVAL DE LA BAULE
FESTIVAL CINÉMA ET MUSIQUE DE FILM DE LA BAULE
DU 26 AU 30 JUIN 2024
FESTIVAL-LABAULE.COM
LANGUE ÉTRANGÈRE DE CLAIRE BURGER
EN SALLES LE 11 SEPTEMBRE 2024
LES REINES DU DRAME D’ALEXIS LANGLOIS
EN SALLES LE 18 DÉCEMBRE 2024