Quatre-vingt-dix ans après le premier film en couleur – Becky Sharp de Rouben Mamoulian et Lowell Sherman (1935) –, le noir et blanc est loin d’avoir dit son dernier mot. S’il est besoin de le prouver, voici trois nouveaux films qui explorent les mille nuances du monochrome pour des récits de genres et de styles très différents.

La Jeune Femme à l’aiguille de Magnus von Horn. Dans le Danemark des années 1910, Karoline travaille entourée de dizaine d’autres femmes dans une manufacture de vêtements. Son mari est parti à la guerre et il y a bien longtemps qu’elle n’a plus de nouvelles. Elle espère beaucoup de sa nouvelle relation avec le jeune directeur, de qui elle est enceinte. Mais elle apprendra bien vite qu’on ne sort pas si aisément de sa classe, et que ce bébé ne pourra être que le sien à elle seule ou celui de personne. Inspiré d’un fait divers réel, le troisième film de Magnus von Horn (on se souvient de son très différent et très coloré Sweat, sur la vie d’une influenceuse, en 2020) est particulièrement glaçant. Dans ce Danemark sans espoir, la couleur n’a pas sa place, et l’usage de ce noir et blanc qui n’est pas sans rappeler celui du Ruban blanc de Michael Haneke (2009) ne fait qu’accompagner la tragédie. L’image du jeune chef opérateur polonais Michal Dymek, à qui l’ont doit la lumière d’EO de Jerzy Skolimowski (2022) ou plus récemment de A Real Pain de Jesse Einsenberg (2025) offre au film une esthétique aussi belle que terrible qui restera longtemps en mémoire.
La Jeune Femme à l’aiguille de Magnus von Horn
Sortie en salles le 9 avril 2025
The Grill d’Alonso Ruizpalacios. Son premier film, Güeros (2014), était déjà en noir et blanc. Depuis, le mexicain Alonso Ruizpalacios a tourné Museum (2018), avec Gabriel Garcia Bernal, qui lui a valu un Ours d’Argent au Festival de Berlin, Notre histoire policière (2021) et plusieurs épisodes de la série Narcos: Mexico pour Netflix. Pour son quatrième long métrage, le cinéaste retourne au monochrome, et pose son récit aux États-Unis, à New York, plus précisément dans les cuisines d’un important restaurant. « The Grill », c’est le nom de l’établissement. On n’y sert pas de la très grande cuisine, mais de la viande, des burgers, des pizzas et des salades. Autrement dit, de quoi alimenter le New-Yorkais comme le touriste, et il y a du monde autant en salle qu’en coulisse. Et dans les cuisines du Grill, toutes les nationalités se croisent : mexicains, colombiens, marocains, sénégalais… De nombreux sans-papiers qui travaillent dans des conditions pas toujours simples dans l’attente d’être régularisés. Et parmi eux, Pedro, un jeune mexicain qui nourrit d’un peu trop d’espoir sa relation avec la serveuse américaine Julia (interprétée par Rooney Mara). Une épopée stressante en temps réel qui n’est pas sans rappeler la série The Bear où le noir et blanc très clair est parfois enrichi de quelques astucieux points de couleur.
The Grill d’Alonso Ruizpalacios
Sortie en salles le 2 avril 2025
Les cavaliers des terres sauvages de Michael Dweck et Gregory Kershaw. Dans une région reculée de l’Argentine, vit à la lisière du monde moderne une communauté de gauchos, ces cowboys de la pampa dont la tradition latino-américaine remonte à la fin du XVIIIe siècle. L’identité en péril de cette communauté est au cœur de ce documentaire dont la richesse visuelle s’inscrit dans la continuité du travail photographique de ses deux coréalisateurs. Michael Dweck est un photographe new-yorkais qui rend hommage depuis des années à des congrégations aussi variées que les surfeurs de Montauk (sa série The End: Montauk, N.Y., en 2004) et les chasseurs de truffes du Piémont (The Truffle Hunters, 2020). Ce dernier travail avait fait l’objet d’un film, déjà coréalisé avec le chef opérateur Gregory Kershaw. Pour ce nouveau documentaire, les cinéastes ont opté pour un noir et blanc très contrasté, accentuant autant la beauté des visages marqués que celle des immenses paysages où ils se confondent.
Les cavaliers des Terres Sauvages de Michael Dweck et Gregory Kershaw
Sortie en salles le 7 mai 2025