September & July : le film de Ariane Labed 

Il y a des films qui s’infiltrent doucement sous la peau, des récits qui battent au rythme des silences et des regards. September & July, premier long-métrage d’Ariane Labed, appartient à cette catégorie. Inspirée du roman Sœurs de Daisy Johnson, la réalisatrice franco-grecque tisse, avec une délicatesse féroce, la toile complexe d’un amour sororal aussi lumineux qu’étouffant. Présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes en 2024, le film est à l’affiche depuis le 19 février et ne cesse de hanter les spectateurs bien après le générique de fin.

© New Story

Entre ombre et lumière : la danse des sœurs

July (Mia Tharia), quinze ans, vit dans l’ombre chatoyante de September (Pascale Kann), son aînée de dix mois. Tout, chez elle, semble dicté par la cadence imposée par sa sœur. « September a dit : danse ! » souffle July, les yeux brillants d’admiration et de soumission mêlées. Dès les premières scènes, Ariane Labed capte la magie et le poison de cette relation fusionnelle : les fous rires sur la moquette usée de la chambre, les jeux cruels que seule la tendresse peut excuser, la frontière floue entre protection et domination. Lorsque September est renvoyée du lycée, le monde vacille. Pour July, c’est le début d’un vertige : celui de devoir exister sans l’écho constant de l’autre.

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Une immersion sensorielle dans les méandres de l’adolescence

Ce qui frappe dans September & July, c’est l’attention portée aux textures, aux sons, aux détails minuscules qui font la chair des souvenirs. La première partie du film, tournée en 16 mm, vibre d’une nostalgie palpable. Les grains de la pellicule accrochent la lumière des fins d’après-midi, les peaux transpirent sous les rayons d’un soleil d’été impitoyable. Chaque geste semble suspendu entre l’innocence de l’enfance et les pulsations confuses de l’adolescence.

Une scène reste en mémoire : July, allongée sur le sable, observe le ciel en écoutant le souffle rauque de sa sœur à côté d’elle. Silence. Respiration. C’est dans ces instants d’apparente banalité que le film déploie sa poésie la plus saisissante.

La deuxième moitié, filmée en 35 mm, marque une bascule. Après un événement mystérieux – que Labed dévoile par fragments –, les deux sœurs et leur mère, Sheela (Rakhee Thakrar), se réfugient dans une vieille maison isolée, battue par le vent. Le format plus large laisse place aux paysages grandioses d’Irlande, mais l’espace n’est qu’une illusion de liberté. Les murs semblent se refermer sur les personnages, la mer gronde comme une menace sourde. July, tiraillée entre loyauté et soif d’émancipation, laisse affleurer une rage longtemps contenue. « S’il ne devait rester que l’une de nous deux, ce serait toi, » murmure-t-elle à sa sœur, écho douloureux d’une rivalité mal assumée.

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Un regard féminin qui scrute sans juger

September & July est avant tout un film de sensations. Ariane Labed, déjà remarquée pour son court-métrage Olla (2019), confirme ici son obsession pour le corps et ses contradictions. Les gestes hésitants, les étreintes trop longues, les frôlements ambigus : tout est filmé avec une pudeur qui n’élude pourtant rien de la violence sous-jacente. « J’avais l’impression de tenir quelque chose de précieux dans une main… et d’avoir un scalpel dans l’autre, » confie la réalisatrice. Cette ambivalence se ressent dans chaque plan, où la tendresse coexiste avec la cruauté, où l’amour peut devenir un piège.

La caméra épouse le regard de July, oscillant entre fascination et révolte. Pascale Kann incarne avec brio la magnétique September, capable d’un sourire qui ensorcelle autant qu’il menace. Mais c’est Mia Tharia qui impressionne par sa justesse : elle cède, se cabre, vacille, dans une palette d’émotions infiniment nuancée. Entre elles, Rakhee Thakrar, en mère dépassée mais aimante, apporte une humanité vacillante. « Je voulais explorer ce que signifie grandir quand l’amour devient aussi une forme de prison, » explique Labed. Pari réussi : jamais le film ne verse dans la caricature ou la moralisation. Il observe, il ressent.

Un voyage dans les profondeurs de la mémoire

Il y a, dans September & July, quelque chose du rêve et du cauchemar mêlés. Les paysages marins se teintent d’onirisme, les dialogues se font parfois chuchotements intérieurs. Ariane Labed joue avec le temps, superposant le présent aux bribes d’un passé qui suinte encore dans les murs de la maison. Cette exploration des souvenirs déformés par l’émotion rappelle le cinéma de Lynne Ramsay ou les premiers films de Sofia Coppola. Pourtant, Labed impose sa propre voix : celle d’une cinéaste qui refuse les réponses faciles, préférant l’ambiguïté à la résolution.

La scène finale, que l’on ne révélera pas, est d’une beauté déchirante. Elle laisse sur la langue le goût salé des larmes et de la mer, sur la peau la brûlure d’un été qui s’éteint. September & July n’est pas un film que l’on regarde, c’est un film que l’on traverse. Qui hante, qui griffe doucement. Comme ces relations dont on ne se défait jamais tout à fait.

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