Simon Edelstein, l’archéologue des salles obscures

Le photographe et réalisateur genevois capture depuis une vingtaine d’années ces temples du cinéma à travers le monde, se faisant le témoin des beautés passées et présentes qu’il nous invite à (re)découvrir. Rencontre.

À l’heure où de nombreux cinémas mythiques tirent de plus en plus leur révérence, Simon Edelstein nous fait revivre ces joyaux architecturaux. Ce photographe chevronné, originaire de Genève, n’a eu de cesse d’écumer les routes en quête de ce patrimoine exceptionnel qui disparaît peu à peu du panorama. Rien qu’en France, on comptabilise les fermetures récentes d’une quinzaine de grands cinémas, comme l’UGC George V (2020), le Gaumont Marignan (2023) ou encore l’UGC Normandie (2024), véritables symboles des multiplexes. Au royaume d’Hollywood, même crève-cœur, avec entre autres le mythique Cinerama Dome (2020). 

Il existe cependant quelques réjouissances. À l’exemple du cinéma La Clef qui devrait rouvrir à Paris en 2025, du Vista Theatre à Los Angeles, racheté par Quentin Tarantino (2021), ou encore de l’Egyptian Theatre, acquis par Netflix (2020), après le Paris Theater à New York (2019). « Il y a un petit distinguo que les gens doivent comprendre », explique Simon Edelstein, précisant : « Quand la plateforme rachète des salles, c’est souvent pour des besoins contractuels, même si cela évite leur destruction. Pour que ses films puissent concourir aux remises de prix, ils doivent d’abord sortir dans quelques cinémas. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est du marketing. »  

De la beauté d’antan à l’évanescence

L’homme qui a soufflé ses 82 ans le 26 mars dernier a ainsi fait paraître deux beaux livres sur ces merveilles du septième art : Le crépuscule des cinémas et Cinémas, un patrimoine français (Éd. Jonglez, 2020 et 2023). Tous deux retracent l’histoire des monuments vétustes et abandonnés, des cinémas de quartier disparus ou résistants (le Kinopanorama, le Palace dont la façade a servi « La dernière séance » d’Eddy Mitchell), des palais superbement restaurés (Le Louxor, La Pagode), sans oublier les salles plus contemporaines, tout aussi spectaculaires. 

À l’automne prochain, un troisième ouvrage s’ajoutera à cette collection précieuse, La beauté mortelle des cinémas indiens (Éd. Jonglez). De la France aux États-Unis en passant par l’Italie, Cuba ou encore l’Inde, il a ainsi fallu plus de deux décennies à Simon Edelstein pour photographier ces lieux de spectacle empreints de nostalgie au cœur des villes et des campagnes. Une passion qui n’a rien d’étonnant. Cet amoureux des structures et de la pellicule a une longue carrière dans l’industrie, du petit au grand écran. Il a réalisé des documentaires pour la télévision suisse romande, des longs métrages, et a signé des films en tant que chef opérateur. 

« J’ai toujours voyagé et j’ai toujours aimé le cinéma. Mais je me préoccupais peu des extérieurs, seuls les films m’intéressaient. C’est en retournant dans les salles que je me suis rendu compte que certaines n’existaient plus. J’ai alors commencé à les regarder. Elles étaient détruites dans l’indifférence des pouvoirs publics et remplacées par des constructions abominablement laides. On est ainsi passé de la beauté mortelle des cinémas à la laideur ad vitam aeternam. À l’époque, les salles se devaient d’être belles pour attirer les spectateurs. Cela a permis à des architectes d’imaginer des lieux magnifiques et extravagants. » 

À l’épreuve de la modernité

Pour Simon Edelstein, c’est donc un « travail de mémoire ». L’Inde, les États-Unis et la Grande-Bretagne laissent des « traces de la beauté des salles », de son propre aveu. « À Bombay, des architectures Art déco subsistent. Tout comme à Los Angeles, de grandes salles ont été maintenues. L’émotion du cinéma est liée aux autres et aux volumes. Quand vous entrez dans un espace de 3 000 places, tout prend une telle ampleur au milieu de la foule. Cela transcende l’émotion. La France reste magnifique pour les cinéphiles, car elle représente le tiers des entrées de l’ensemble de la Communauté européenne. Il y a une tradition et une volonté affirmée de restaurer, rénover et réinventer, avec toutes sortes d’événements comme la Fête du cinéma. Mais les bâtiments construits n’ont plus rien à voir avec les architectures d’antan. C’est une beauté formelle et neutre. »  

Depuis l’avènement du numérique, à savoir des évolutions technologiques jusqu’à la fin de la pandémie, les habitudes des spectateurs n’ont eu de cesse d’évoluer, laissant les écrans tactiles des plateformes de streaming envahir leur quotidien. Un constat triste, au détriment des belles techniques cinématographiques et des formats immersifs (IMAX, 3D, 4DX, ScreenX, Dolby Cinema, LED). Un schéma pourtant recommencé, qui n’est pas sans rappeler l’explosion des formats larges au mitan du XXe siècle (CinémaScope, 70mm, VistaVision, Cinérama, Drive-in) pour concurrencer l’arrivée de la télévision dans les foyers. 

Sous l’objectif de Simon Edelstein, la magie des cinémas continue ainsi d’opérer, immortalisant « la belle archéologie de leurs façades usées, de leurs entrées et de leurs vastes salles de navires à la dérive ». Un jeu entre le temps, la splendeur, les stigmates, l’oubli et la résilience. Un âge d’or architectural où les rêves continuent de vivre et les imaginaires de dialoguer. D’autant plus que le Grand Rex a été élu cette année le plus beau cinéma du monde par Time Out sur cinquante salles sélectionnées.

Publications de Simon Edelstein :

La beauté mortelle des cinémas indiens 

Éditions Jonglez, automne 2025

Cinémas, un patrimoine français

Éditions Jonglez, 2023

Le crépuscule des cinémas

Éditions Jonglez, 2020

jonglezpublishing.com

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