ACUMEN A RENCONTRÉ À CANNES XAVIER LAURENT, acteur français qui a notamment joué dans de grosses productions américaines comme Monuments Men ou Inferno aux côtés d’Omar Sy.


Vous avez commencé par des études d’économie internationale à l’Université McGill avant de vous tourner vers le théâtre. Qu’est-ce qui vous a motivé à changer de voie ?
C’est un processus de longue durée : ma sensibilité était différente et je voyais depuis le début de mes études d’économie que je ne m’épanouissais pas dans cette voie. Je sentais que le domaine artistique me convenait mieux, que j’avais un besoin de m’exprimer mais je n’avais pas idée de quoi, ni comment. J’ai eu la chance à Montréal de prendre du recul et de trouver ce que je voulais faire. J’ai alors commencé une initiation au théâtre au cours d’Otto Hans Jensen, qui a conforté mon intuition. Ce dernier m’a beaucoup encouragé et est la raison majeure de mon investissement dans ce domaine lors de mon retour en France. J’ai été très touché en apprenant plus tard son décès, sans avoir jamais eu la chance de pouvoir le remercier car c’était la meilleure décision de ma vie.
Vous avez suivi des formations au Cours Florent et à la London Academy of Music and Dramatic Art. Comment ces expériences ont-elles façonné votre approche du jeu d’acteur ?
Fraîchement rentré en France, je n’avais aucune connaissance du milieu, et c’est tout naturellement que je me suis inscrit au Cours Florent où j’ai noué de profondes amitiés. J’ai ensuite trouvé le véritable endroit pour m’épanouir artistiquement dans les ateliers de Jack Waltzer, que j’ai fréquentés pendant longtemps, et où se trouvait un vivier d’acteurs et actrices très inspirants. En commençant à travailler au Royaume-Uni, je voulais montrer aux gens de l’industrie ma motivation à apprendre et je suis allé faire un séjour à la LAMDA, surtout pour appréhender la langue de Shakespeare – ancien anglais en pentamètre iambique, oui, c’est technique ! J’en suis sorti avec de nouveaux outils et avec le constat que travailler en langue étrangère demande un travail considérable, surtout pour avoir la capacité de gommer l’accent français et de pouvoir faire différents accents, ce qui est l’apanage des acteurs et actrices anglo-saxons. Ces expériences m’ont apporté aussi une autre mentalité sur l’approche du travail, surtout sur la rigueur de jeu et le travail préparé en amont.
Parmi les acteurs francophones ayant une carrière internationale, qui vous inspire le plus et pourquoi ?
D’un côté, Omar Sy a été pour moi un déclic lors de notre rencontre sur Inferno de Ron Howard ; sa générosité, sa bienveillance, son énergie et sa fidélité en amitié ont été un cadeau à ce moment-là, et son énergie et ses choix font qu’il est à la place qu’il mérite, c’est-à-dire au-delà de la stratosphère ! De l’autre, Élodie Yung, dont je reste proche, est aussi une source d’inspiration, de par son jeu, ses choix, sa carrière. En tout cas, tous deux m’ont fait réaliser quelque chose de fondamental dans notre milieu : jouer est une chose, mais être positif, humain, généreux et bosseur en est une autre. Et les choses n’arrivent pas par hasard. Comme dit l’adage : rater la chance est une faute professionnelle.
Vous avez participé à des films tels que Rush, Monuments Men, Inferno. Comment ces expériences ont-elles enrichi votre parcours professionnel ?
Goûter à ce genre de plateaux est un vrai bonheur de par la richesse des rencontres internationales que l’on peut faire. Les équipes mélangent des postes du monde entier, techniciens, acteurs et actrices tous très différents, et cette différence est un trésor de culture, d’échange et d’humanité.
Au niveau du jeu en lui-même, cela m’a fait comprendre que quelle que soit la taille du film que l’on fait, notre travail reste le même, abstraction faite du nombre de gens impliqués. Que l’on soit engagé sur un film petit budget ou sur un blockbuster, nous devons faire en sorte que la véracité de notre personnage et des situations jouées soit totale. Le reste ne nous appartient pas. Penser de cette manière me permet de démystifier quelque peu notre travail et de me focaliser sur l’essence et la simplicité de notre art. À l’instar des enfants qui s’inventent des histoires et y croient, nous faisons la même chose avec, certes, des psychologies et des situations plus complexes.
Sur le plan purement professionnel, ces expériences m’ont permis surtout de solidifier mon équipe et de m’entourer de gens de confiance pour la défense de mes intérêts et la recherche d’autres rôles potentiels avec Florent Lamy et Daniel Blanc chez Elevate Artist Management, et Paul Bribosia, Mathilde Mayet, Laurence Joyard chez Noma Talents.
On pense qu’être acteur, c’est être sur scène ou sur un plateau, mais il y a aussi tout l’envers du décor…
Dans une interview, vous avez mentionné que le cinéma français valorise davantage la personnalité, tandis que le cinéma anglo-saxon exige une transformation plus profonde. Pouvez-vous développer cette distinction ?
Il y a bien sûr des contre-exemples ou exceptions, mais il y a effectivement, je trouve, en France, un historique du jeu qui fait que l’on recherche souvent plus des personnalités que le personnage – ce n’est que mon avis, bien sûr –, et une aversion un peu pour la transformation, ou bien pour les accents.
En France, on nous prend souvent pour ce que l’on est. Chez les anglo-saxons, ils sont toujours curieux de pousser les curseurs et de voir si l’on peut se transformer et si cela est crédible. Ils veulent voir le résultat à l’image. Il n’y a pas de jugement là-dedans, c’est juste un débat d’idées.
Je trouve très inspirant en tout cas de voir en France des gens comme Alban Lenoir, François Civil, Pierre Niney, Youssef Hajdi, Tahar Rahim, Noémie Merlant, Camille Cottin, Juliette Binoche, Marion Cotillard, Vincent Cassel être aussi créatifs sur la création de leurs personnages. Mention spéciale aussi par exemple à Raphaël Quenard qui, lui, allie une personnalité vraiment haute en couleur tout en créant des personnages différents à chaque fois.
J’aime personnellement le côté ludique de trouver des idées pour son personnage.
Vous avez joué dans les films The Man in the Hat et Bone in the Throat. Quelles différences avez-vous observées entre les productions britanniques et américaines ?
The Man in the Hat était un cas particulier car à mi-chemin entre les films de Jacques Tati et de Chaplin. On est dans l’onirisme constant, et sans dialogue. J’étais presque enchanté de jouer avec Ciarán Hinds, mais aussi d’être dans ce film indépendant fait en famille. L’important aussi, c’est de traverser des histoires humaines, et celle-là était particulièrement chaleureuse.
Bone in the Throat m’a donné justement l’opportunité de jouer une partition loin de moi, et je n’oublierai pas non plus que Vanessa Kirby m’a pris dans ses bras à la fin du tournage pour me congratuler, haha !
Pouvez-vous nous parler de votre prochain projet, le film d’action-comédie britannique Cabbie, et de votre rôle dans ce film ?
Cabbie est une comédie d’action, un peu comme Braquage à l’italienne, mais avec les black cabs (taxis londoniens), réalisée par Katrin Magrowitz. Je ferai Jean-Pierre le Dique (!), le banquier français qui se fait arnaquer. J’attends ce film, qui peine encore à boucler ses derniers financements, avec impatience. Le script est à mourir de rire et dans la lignée des comédies anglaises à l’humour corrosif.
Vous travaillez également sur un court métrage, La Guerre des sexes, avec François Berthier, et sur un long métrage international, The Kid Is Not My Son, se déroulant en Inde. Pouvez-vous partager quelques détails sur ce projet ?
J’aime initier des projets, c’est quelque chose qui me tient à cœur et que j’ai toujours fait depuis que j’ai commencé ce métier. Écrire, produire, jouer sont très complémentaires. Nous avons déjà avec le réalisateur François Berthier collaboré sur deux précédents projets et ce dernier est particulièrement ambitieux. Il met en scène un conflit dystopique généralisé entre hommes et femmes dont la genèse provient d’un algorithme biaisé censé réguler les inégalités des sexes au sein de la société.
J’ai effectivement coécrit avec la scénariste Laure Lochet un long métrage international, The Kid Is Not My Son,et c’était la raison principale de ma venue à Cannes cette année, pour faire avancer ce projet. Ce film met en scène un demi-frère et une demi-sœur que tout oppose, qui doivent s’unir pour réaliser un parcours initiatique en Inde du Nord mais qui se transformera en une quête bien plus grande : affronter le démon indien Hiranyakashipu. Ce film est écrit à la manière d’un conte, avec des thèmes forts mais toujours avec des situations et des personnages décalés. Si je devais le pitcher, je dirais que c’est Little Miss Sunshine et Parasite en même temps.
Vous partagez votre vie entre Aix-en-Provence, Paris et Londres. Comment ces différents environnements influencent-ils votre travail et votre créativité ?
Je suis originaire du Sud de la France et très attaché à cette région. La lumière, le climat, les gens, les amis, la famille… J’ai la chance de pouvoir jongler entre différents environnements et j’adore voyager. J’ai du mal, il est vrai, à rester en place, peut-être un syndrome d’hyperactivité, mais le fait de pouvoir dichotomiser vie privée et vie pro me donne la chance de prendre du recul… et du repos !