Le Metropolitan Museum of Art (Met) à New York met en dialogue le travail photographique d’Anastasia Samoylova et celui de Walker Evans qui sondent sur un siècle les contradictions et les complexités de la Floride.

© The Metropolitan Museum of Art, New York, 2024 © Anastasia Samoylova
Purchase, Diana Barrett and Bob Vila Gift, 2024 (2024.320)
L’institution new-yorkaise nous invite à un voyage à travers le temps, en Floride, destination touristique populaire depuis le début du XXe siècle. Walker Evans (1903-1975), figure majeure de la photographie documentaire et humaniste, et Anastasia Samoylova (1984-), artiste et photographe américaine d’origine russe, retracent l’imagerie de ce paradis subtropical aux multiples facettes. Le premier, réputé pour ses portraits de victimes de la Grande Dépression, d’architecture vernaculaire, d’intérieurs domestiques et de signalisation routière, a saisi sur quarante ans l’émergence du « Sunshine State », dès les années 1930. La seconde, connue pour son travail sur les mutations environnementales et culturelles, a sillonné les routes de la Floride à partir de 2016, héritant de tout ce que son aîné avait vu venir.

© The Metropolitan Museum of Art, New York, 2024 © Anastasia Samoylova
Purchase, Diana Barrett and Bob Vila Gift, 2024 (2024.324)
IMAGES D’ÉPINAL
Palmiers et flamants roses, affichages immobiliers publicitaires et stands de souvenirs, grands hôtels et manoirs de l’âge d’or… C’est tout un corpus d’images de Walker Evans, rarement montré, que nous révèle le Met sur les cimaises de son espace new-yorkais. Entre allers et retours, le photographe a capté l’émergence de la Floride dans les moindres recoins, sans jamais tomber dans les conventions du guide pittoresque. Il a su entremêler les influences culturelles, les héritages multiples, les premières vagues de tourisme et la beauté contrastée de ce refuge de l’excès.
Il s’agit ici d’une petite fraction des 600 photographies qu’il a prises, montrées sous forme de tirages. Un diaporama numérique présente ainsi « une sélection de négatifs non recadrés et de diapositives couleur de ses différentes visites de la Floride entre 1934 et 1968 ». Des images issues de l’ouvrage The Mangrove Coast de Karl Bickel, paru en 1942, sont également exposées. Walker Evans a passé six semaines à parcourir la côte ouest « oubliée » entre Sarasota et Tallahassee, où il immortalise les attractions routières, les scènes de rue, la vie végétale et l’architecture, ou encore le manoir néogothique de John Ringling.
D’autres archives, acquises par le Met en 1994, s’ajoutent à l’exposition, comme ses polaroïds, ses peintures figuratives et ses fameuses cartes postales à un penny. Walker Evans en a collectionné 9 000. Des grands hôtels (le Breakers à Palm Beach, le Royal Palm à Miami) à l’interaction de la faune et de la flore (orangeraies, fermes de fruits tropicaux, palmiers, alligators, autruches, flamants roses) en passant par les balades en bateau (à Silver Springs, à Ocklawaha), toutes ont vanté l’État ensoleillé comme un paradis pour les vacanciers et marqué la croissance rapide du tourisme. Ses premières photographies, prises à l’aube des années 1930, préfigurent ses travaux pour la Farm Security Administration à travers les États-Unis.

Film negative The Metropolitan Museum of Art, New York, Walker Evans Archive, 1994 (1994.252.144.3) © Walker Evans Archive, The Metropolitan Museum of Art, 2024
LA FLORIDE EN MUTATION
Née en Russie, arrivée aux États-Unis en 2008 et installée à Miami depuis 2016, Anastasia Samoylova se concentre dans son travail sur les mutations environnementales et culturelles. Elle a dernièrement été nommée au prix Élysée 2025 pour sa série Transformations, inspirée du concept de « climatopies », luttant contre les effets du changement climatique. Ici, elle photographie la Floride en sillonnant les routes sinueuses, des îles des Keys jusqu’aux frontières avec l’Alabama et la Géorgie. Cette virtuose joue quant à elle avec les miroirs, les fenêtres, les reflets et les réfractions. Dans ses collages, elle utilise la peinture acrylique pour combiner le réalisme photographique et l’artifice pictural. En témoigne ce miroir en forme de Vénus de Milo qui semble flotter parmi les palmiers et les devantures de magasins. Ce cliché a été pris à travers la vitrine d’une boutique dans le Design District de Miami pendant la Covid-19. « L’effet de collage, avec l’espace intérieur, extérieur et réfléchi comprimé dans un seul plan visuel, crée une sensation vertigineuse de désorientation spatiale », expliquent les commissaires.
L’exposition, tirée du livre Floridas (éditions Steidl, 2022), met ainsi en évidence les approches de ces deux photographes qui, dans leur similitude, en viennent parfois à se confondre. Entre passé et présent, noir et blanc et couleur, tous deux déforment les clichés visuels dans un jeu de fantaisie et de réalité du Sunshine State. « Walker Evans fait la chronique d’un État en pleine expansion grâce au tourisme et à la construction, quand Samoylova le montre malmené par le changement climatique et la surconstruction », souligne David Campany dans son essai qui accompagne l’ouvrage.
Toutes ces images exposées soulignent à la fois cet exercice d’équilibre et ce gouffre grandissant entre les idéaux et la réalité de la Floride, qui symbolisent les contradictions des États-Unis d’aujourd’hui.
« FLORIDAS: ANASTASIA SAMOYLOVA AND WALKER EVANS »
THE MET FIFTH AVENUE, GALLERY 852
1000 FIFTH AVENUE, NEW YORK (ÉTATS-UNIS)
JUSQU’AU 11 MAI 2025
METMUSEUM.ORG








