Cet exilé sud-africain fut l’un des premiers à révéler au monde la réalité et l’enfer de l’apartheid. Un livre photographique et un documentaire bouleversants, signés Raoul Peck, font la lumière sur le parcours combatif et chaotique du photographe Ernest Cole.

Avec I Am Not Your Negro, Raoul Peck exaltait la plume de l’écrivain afro-américain James Baldwin sur les luttes sociales et politiques aux États-Unis dans les années 1960. Avec Ernest Cole, photographe, le cinéaste haïtien redonne cette fois vie et puissance aux images de l’un de ceux qui se sont élevés contre l’apartheid en Afrique du Sud. En 2017, plus de 60 000 de ses négatifs et photos sont mystérieusement découverts dans les coffres d’une banque de Stockholm. C’est ce que dévoile Raoul Peck dans ce bel ouvrage photographique, paru en octobre, tiré directement de son documentaire, sorti deux mois plus tard au cinéma. Les images et les mots/maux d’Ernest Cole (1940-1990), racontés à la première personne, s’extraient ainsi enfin de l’ombre, devenant un témoignage précieux des horreurs du régime ségrégationniste sud-africain.
DE L’AFRIQUE À L’AMÉRIQUE
C’est en découvrant Moscou d’Henri Cartier-Bresson qu’Ernest Cole, né Ernest Levi Tsoloane Kole dans un township du Transvaal, choisit sa façon de documenter la vie quotidienne dans son pays. Une existence inhumaine de discrimination raciale institutionnalisée qu’il immortalise dans des clichés souvent pris dans des conditions contraignantes, en étant caché ou en mouvement.
Un livre révolutionnaire en résulte dix ans plus tard, House of Bondage (Maison de servitude, 1967), aussitôt censuré et qui le pousse à l’exil en 1966. Il trouve le moyen de fuir la république d’Afrique du Sud et s’installe dans le New York cosmopolite. En 1968, le régime de l’apartheid lui interdit de revenir, le condamne à l’exil et lui retire son passeport sud-africain.

Grâce à ces archives substantielles en noir et blanc et en couleur, Raoul Peck retrace et reconstitue le périple d’Ernest Cole, pétri de contradictions. Arrivé en Amérique, sa nouvelle terre de liberté, où il pense en avoir fini avec la ségrégation, il se confronte à l’ignominie des États du Sud et à la lutte pour les droits civiques.
« Quand je photographiais en Afrique du Sud, chaque jour j’avais peur d’être arrêté. Dans le sud des États-Unis, j’avais peur d’être tué », avoue-t-il au fil des pages.

L’INHUMANITÉ RÉPÉTÉE PAR L’IMAGE
Dans ce parcours jonché de traumatismes et d’entraves, Ernest Cole réussit malgré tout à obtenir une bourse de la Fondation Ford, à collaborer avec Magnum Photos et à publier ses travaux dans divers magazines, comme Drum et le New York Times.
Le magazine Stern finit également par éditer ses photos, après les avoir rejetées une première fois, lorsque le premier ministre sud-africain Hendrik Verwoerd, qui définissait l’apartheid comme « un système de bon voisinage », est assassiné. Tout au long de son errance, Ernest Cole n’a jamais pu s’adapter à sa nouvelle vie, aux prises avec les mêmes combats. « J’ai le mal du pays et je ne peux pas y retourner », écrit-il.

À la fin des années 1970, sa santé mentale et physique décline. Il arrête de travailler comme photographe, sombre dans la pauvreté et vit comme un sans-abri. Il meurt à 49 ans d’un cancer du pancréas, une semaine après la libération de Nelson Mandela en 1990, lequel recevra, trois ans plus tard, le prix Nobel de la paix et deviendra, l’année suivante, le premier président noir de la nation arc-en-ciel.
Que ce soit en Afrique, en Suède ou en Amérique, la ségrégation n’a eu de cesse de poursuivre Ernest Cole. Avec ce livre et ce documentaire, Raoul Peck fait ainsi réparation. Il vient rendre justice à celui qui, comme beaucoup d’autres, a eu le courage d’être vent debout contre l’apartheid, offrant une analyse profonde sur les notions et les tourments de l’exil basée sur un travail d’une valeur inestimable.

ERNEST COLE, PHOTOGRAPHE
D’ERNEST COLE ET RAOUL PECK
ÉDITIONS DENOËL, OCTOBRE 2024
VELVET FILM OCTOBRE 2024
DENOEL.FR








