De « U.S. Route 1 » à Route One/USA

Aux Rencontres de la Photographie d’Arles, l’Amérique d’aujourd’hui résonne avec celle d’hier le temps d’une exposition : « U.S. Route 1 », qui croise le travail des photographes contemporaines Anna Fox et Karen Knorr avec celui plus ancien de Berenice Abbott. Une œuvre qui fait aussi écho à un film emblématique : Route One/USA de Robert Kramer (1989). 

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C’est l’une des plus anciennes routes des États-Unis. Elle traverse toute la côte est, du sud au nord, de Key West, à l’extrémité de l’archipel des Keys, en Floride, jusqu’à Fort Kent, dans le Maine, au bord du fleuve Saint-Laurent et de la frontière canadienne ; 3810 kilomètres de bitume, arpentés en 1954 par la photographe américaine Berenice Abbott dans l’idée de constituer un livre d’images des contrastes et diversités de communautés qui peuplent le pays. Plus de soixante ans plus tard, les photographes Anna Fox et Karen Knorr reprennent le chemin tracé par Abbott, documentant la vie américaine au cœur des années 2010 au prisme des habitants qui peuplent la Route 1 et des villes traversées. L’exposition présentée aux Rencontres de la Photographie d’Arles met en parallèle les deux projets photographiques. On note ainsi l’évolution socio-économique et esthétique d’un même espace, de l’Amérique d’Eisenhower à celle d’Obama puis de Trump, de différences en ressemblances. 

Mais entre ces deux Amériques, ces deux projets photographiques et ces deux Route 1, il en existe une autre. En 1989, Robert Kramer, cinéaste américain qui a quitté les États-Unis depuis de nombreuses années, décide de revenir dans son pays natal, et de descendre la fameuse Route One du nord au sud. En découlera un étrange objet cinématographique : Route One/USA, un documentaire fleuve de plus de quatre heures où pénètre subtilement la fiction. Comme dans l’exposition présentée à Arles, le film de Robert Kramer commence, après une petite séquence d’introduction, par une carte routière. Il n’y a pas de vrai road trip sans carte, qui permet de se projeter dans le voyage, d’anticiper, de voir le chemin à parcourir, les étapes à ne pas manquer. Et ce n’est pas un hasard si Robert Kramer, pour son retour au pays, fait un road trip. Pas un hasard non plus si Abbott comme Fox et Knorr décident de raconter les États-Unis au fil d’un long trajet en voiture. Le concept de road trip appartient à l’Amérique, terre de grands espaces et d’industrie automobile, au même titre que ses autres symboles, le pygargue à tête blanche ou la Star-Spangled Banner – qui, du reste, apparaissent beaucoup dans les images contemporaines de Fox et Knorr. 

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Une autre route américaine a plus souvent suscité les fantasmes et les désirs de voyage automobile : la Route 66, qui prend sa source sur les bords du Lac Michigan, à Chicago, et se jette dans l’Océan Pacifique, à Santa Monica, 3670 kilomètre plus loin. Cette route raconte une autre histoire, celle de la conquête de l’Ouest, mais aussi de la Grande Dépression. Elle traverse deux réalités géographiques et culturelles américaines : le Midwest et la West Coast. La Route 1 (qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, est plus longue que la Route 66), elle aussi, traverse des espaces culturels marqués par une différence sociologique, mais dont l’histoire des États-Unis rend la résonance plus forte encore : le Nord et le Sud. La Route 1 n’est pas seulement une route historique parce qu’elle est ancienne, mais parce qu’elle suit le vieux tracé du premier chemin qui reliait les treize premières colonies de la Déclaration d’Indépendance de 1776, passant « par toutes les vieilles capitales », comme raconte Robert Kramer dans la voix off de son documentaire. 

Et puis, le développement des infrastructures routières au début du XXe siècle a rendu la Route 1 obsolète. Si elle n’a pas été déclassée (contrairement à la Route 66, qui n’existe plus officiellement depuis 1985), elle n’est plus guère en usage, sinon pour de courts trajets, d’une petite ville à l’autre. Et c’est aussi cela qui intéresse Kramer, comme Abott, Fox et Knorr : small town America, l’Amérique des petites villes, un peu oubliées loin des capitales et des grands axes. « C’est une petite ville, et on n’est jamais trop prudent », témoigne, non loin de Fort Kent, une policière méfiante des étrangers qui la filment dans le documentaire de Robert Kramer. Sans forcément le savoir, le cinéaste utilise la même méthode que les photographes exposées à Arles : s’intéresser aux habitants, à leur look, leur visage, mais aussi aux bâtiments qui trônent le long de la route, d’un manoir victorien d’une ancienne plantation aux stations-services embrumées. Ils sont, eux aussi, les témoins d’une histoire américaine.  

Berenice Abbott, Anna Fox et Karen Knorr,
« U.S. ROUTE 1 »
Rencontres de la Photographies d’Arles

Palais de l’archevêché, Arles
Jusqu’au 5 octobre 2025
rencontres-arles.com 

Route One/USA de Robert Kramer
Disponible en coffret DVD et Blu-Ray, édité par Re:Voir

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