Le MoMu célèbre les peintres de la mode et le savoir-faire des artistes du maquillage et de la coiffure à travers l’oeuvre de James Ensor dans une exposition qui remet en question les canons de la beauté.

Issy Wood, Cindy Sherman, Genieve Figgis, Harley Weir, Inge Grognard, Martin Margiela, Christian Lacroix, Walter van Beirendonck, Cyndia Harvey, Thomas de Kluyver, Bruce Gilden… C’est à un beau florilège d’artistes de l’art, de la beauté et de la mode que nous convie ici le MoMu d’Anvers. L’exposition remet au goût du jour la vision radicale, sarcastique et insolente de James Ensor (1860-1949), pionnier de l’art moderne. « Elle étend au présent ses idées sur la mascarade, la (fausse) coquetterie, la séduction, la tromperie, l’artifice et la fugacité », explique le trio de commissaires Kaat Debo, Elisa de Wyngaert et Romy Cockx. L’attention est ainsi portée sur les peintres de la mode en explorant le savoir-faire et la créativité des maquilleurs et des coiffeurs qui ne cessent d’interroger les idéaux de la beauté.

Peter Philips make-up for Alexander McQueen Autumn-Winter 2009-2010
© Photo: Robert Fairer

STANDARDS DE PERFECTION

Vieillir reste encore aujourd’hui l’une des peurs centrales de la condition humaine, continuellement alourdie par le poids des normes sociétales et des conventions de l’esthétique. De la satire au réalisme, James Ensor a toujours utilisé le maquillage, les masques, les costumes et les accessoires dans ses représentations pour mieux dévoiler « l’hypocrisie, la fourberie, l’opportunisme et la perfide malice de ceux qu’il critique ». Il a su sonder les canons du grotesque en contraste avec le corps dit « normatif ». De nombreux stylistes se sont interrogés sur cet « aspect parfait », expérimentant plus tard « le potentiel subversif du maquillage, des prothèses et des manipulations d’images ». Les commissaires montrent notamment ici le travail de la maquilleuse Inge Grognard, du concepteur d’effets spéciaux Geoff Portass et du styliste Walter van Beirendonck. Tous
trois réexaminent « les tropes de la chirurgie esthétique à la faveur de prothèses en latex ». La démarche de Cindy Sherman, qui fait souvent du grotesque son credo, reste tout autant pertinente dans ses clichés pour Comme des Garçons.

Genieve Figgis, Fashion shoot, 2021
© Courtesy of the artist and Almine Rech. GFI0249. Photo: Dan Bradica

DE VIEILLIR À RAJEUNIR

Le parcours poursuit cette réflexion sur la quête de la beauté éternelle et juvénile. Aujourd’hui, rajeunir est devenu un leitmotiv et la lutte anti-âge un maître-mot. Le travail d’Inge Grognard aborde également cet aspect. Celle qui a collaboré avec Martin Margiela, les Six d’Anvers, Raf Simons, Demna (Balenciaga) et Glenn Martens (Y/Project, Diesel) manipule la peau, les traces, les marques, les empreintes. Un processus créatif qu’elle expérimente toujours sur elle-même pour mieux garder une approche artisanale. Dans ce cadre, le MoMu et la plateforme Beauty Papers présentent le travail de plusieurs artistes autour de trois installations vidéo explorant les thèmes d’Ensor, dont l’une est réalisée par le photographe et réalisateur danois Casper Sejersen (Acumen no 38). L’approche de Christian Lacroix est tout aussi fascinante avec ses robes de mariée en clôture de défilés. Le couturier français s’est toujours inspiré de Miss Havisham, personnage du roman Les Grandes Espérances (1861) de Charles Dickens, qui conte le déclin de la désirabilité de femmes vieillissantes. Pour sa collection printemps-été 2004, il remet en question les assimilations entre
« âge, honte et beauté déclinante » avec sa coiffeuse Cyndia Harvey. La perruque aux cheveux vieillissants du modèle montre cette fois que la confiance en soi ne fait que s’amplifier avec l’âge.

Thomas de Kluyver and Harley Weir, Shibuya, in All I Want to Be, 2019
© Photo: Harley Weir, Model: Marimo

ÊTRE ET PARAÎTRE AU-DELÀ DU TEMPS

Cette intéressante exposition du MoMu sonde ainsi les évolutions des tendances à travers les époques, la culture de consommation, l’analyse sur l’identité, les transitions technologiques et les avancées vers l’inclusivité dans l’industrie de la beauté. Sans oublier la couleur comme produit (fond de teint, fard à joues) correspondant à la peau de l’utilisateur, et non plus au statut social ou aux significations socioculturelles, physiologiques et
économiques. « Le maquillage et la beauté, devenus une industrie qui brasse plusieurs milliards, placent l’être humain face à l’évanescence de son physique, à ses imperfections imaginaires et à ses peurs existentielles », réitère le trio de curateurs, précisant : « Mais, à l’instar de la peinture,
le maquillage est également une forme d’expression personnelle, d’expérimentation artistique, de joie et de liberté. »

« MASCARADE, MAQUILLAGE & ENSOR » MOMU
NATIONALESTRAAT 28, ANVERS (BELGIQUE)
JUSQU’AU 2 FÉVRIER 2025
MOMU.BE

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