Ses images semblent respirer, comme des rêves aux couleurs vives. Depuis plus de vingt ans, l’Américain Bill Armstrong cultive un flou volontaire qui brouille les frontières entre photographie et peinture. Portrait d’un créateur qui transforme l’absence de netteté en manifeste visuel.


Le flou comme manifeste
Armstrong règle la bague de mise au point de son appareil sur l’infini puis photographie des collages de papiers trouvés qu’il a déjà photocopiés, découpés ou repeints. Il en résulte un voile lumineux où formes et teintes se fondent en visions presque abstraites. Cette technique défocalisée lui permet, dit-il, de « distiller les couleurs pour ouvrir un espace méditatif » et de questionner notre perception même du réel.
Né à Concord dans le Massachusetts et installé à New York, Armstrong a étudié l’histoire de l’art à l’université de Boston avant de rejoindre le corps enseignant de l’International Center of Photography puis de la School of Visual Arts. Ses Mandalas ont été exposés au Philadelphia Museum of Art en 2008, puis lors d’une grande rétrospective au Southeast Museum of Photography en 2010. Les Victoria and Albert Museum, Brooklyn Museum, Museum of Fine Arts Houston et la Bibliothèque nationale de France conservent désormais ses tirages.
Infinity et séries jumelles
La reconnaissance arrive avec Infinity, suite ouverte qu’il poursuit depuis la fin des années 1990. Personnages fantomatiques, sphères azur, architectures antiques s’y dissolvent dans un halo d’énergie pure. De cette matrice naissent des chapitres autonomes : Mandala, Blue Spheres, Darshan ou Film Noir. Chacun explore un symbole, un effet – le cercle, le carré ou le clair-obscur –, et prolonge la recherche d’un état intérieur plutôt que d’un sujet descriptif.
Armstrong voit dans le flou une remise en cause de la prétention photographique à la vérité. L’œil tente de faire la mise au point mais échoue et glisse vers l’émotion brute. L’artiste se nourrit de philosophies orientales : la couleur devient mantra, le format carré rappelle les quatre éléments, le cercle renvoie à la perfection cosmique. Chaque tirage agit comme une petite fenêtre sur l’impermanence.
« Light Form », sa dernière exposition personnelle, a illuminé l’automne 2024 chez HackelBury Fine Art à Londres avec des tableaux pigmentés aux bleus presque électriques. À Barcelone, le Palau de la Musica Catalana a accueilli à la même période Hero Anti Hero, série réinventant la figure mythologique à travers le prisme du flou. Armstrong continue parallèlement son rôle de mentor auprès de jeunes photographes, rappelant que la maîtrise technique n’a de sens que si elle sert une quête intérieure.
Le parcours de Bill Armstrong prouve que la netteté n’est pas une fin mais un choix. En embrassant l’incertitude du regard, il offre au public une expérience sensorielle rare, comme une brume de couleur flottant entre le visible et l’imaginaire.