LES RENCONTRES D’ARLES 2024

Le rendez-vous incontournable de la photographie nous emmène cette année « sous la surface », du 1er juillet au 29 septembre. Dans ce foisonnement d’oeuvres, ce chahut des pratiques et cette vision d’artistes innovants, l’honneur est fait au Japon. Mais aussi à l’icône américaine Mary Ellen Mark pour sa première rétrospective complète au monde. Zoom sur une dizaine d’événements prometteurs.

© Nhu Xuan Hua et Vimala Pons, Partir Loin, Échouer, 2024

Explorer les marges, faire preuve de résilience, mettre en lumière les horizons pluriels, témoigner de la complexité de l’existence, des êtres et des territoires… Telles sont les grandes lignes de cette nouvelle itération des Rencontres de la photographie d’Arles. En un peu plus de cinquante ans, l’événement créé en 1970 s’est imposé comme phare dans le panorama photographique mondial. Ces fameuses Rencontres ont depuis toujours su tendre un miroir du monde. Cette 55e édition, menée par le directeur Christoph Wiesner depuis quatre ans, poursuit cette intarissable historiographie visuelle en terre provençale et fait la part belle à une quarantaine d’expositions dans près de trente sites arlésiens et hors les murs.

ÉTAT DES LIEUX ET DE CONSCIENCE

De Mary Ellen Mark à Sophie Calle en passant par le Japon, la Chine, l’Inde, le Mexique ou encore l’Amérique de Lee Friedlander, de Joel Coen et de Debi Cornwall, tous présentent les nouvelles perspectives de l’image entre « remous, esprits, traces, lectures parallèles et relectures ». Un dialogue riche qui s’interconnecte aux quatre points cardinaux. « Les photographes se font témoins des multiples traces de notre existence, de sa beauté, mais aussi de ses impacts collatéraux », explique Christoph Wiesner. « À la marge ou établis, les récits mènent à des voi(x)es multiples. Tous émanent des interstices d’une surface poreuse : ils s’entremêlent, se superposent, se chevauchent. La période est excitante, tant cet ensemble conduit à une pluralité d’itinéraires à emprunter. »

REGARDS ÉCLECTIQUES

2024 fait donc honneur au pays du Soleil-Levant. D’abord par son titre, « Sous la surface », en référence à l’un des travaux de la photographe japonaise Ishiuchi Miyako, prix Women In Motion 2024. Mais aussi à travers cinq rendez-vous majeurs dont l’un met en lumière le travail capital d’artistes nippones sur près d’un siècle. La programmation élargit le spectre en sondant d’autres visions et maux du monde sous l’angle humaniste, climatique, militaire, sportif. Jusqu’à scruter le centre de la Terre, travail inspiré par Jules Verne, avec l’oeuvre de l’Espagnole Cristina de Middel, choisie pour l’affiche.Le festival des Rencontres d’Arles continue ainsi sa quête permanente de nouvelles formes, sillonnant la planète dans un croisement des médiums, entre hier et demain.

« RENCONTRES », PAR MARY ELLEN MARK

Il s’agit de la première rétrospective mondiale de la documentariste, conteuse et portraitiste américaine. Mary Ellen Mark (1940-2015) est l’une des figures les plus importantes de son époque, concentrant son regard empathique et singulier sur les laissés-pour-compte et les marginaux de la société. Passée par l’agence Magnum avant de préférer l’indépendance, elle a publié une vingtaine de monographies et a collaboré avec Life, Vogue, Rolling Stone, The New Yorker, Vanity Fair. Sur cinq décennies, ses reportages ont été guidés par un profond humanisme, créant des relations fortes avec ses sujets pour capturer des moments d’intimité uniques qui ont fait sa marque de fabrique. C’est ce que nous propose de (re)découvrir l’exposition « Mary Ellen Mark – Rencontres », centrée sur cinq de ses projets les plus approfondis : les femmes placées en institution à l’Oregon State Hospital, les enfants des rues de Seattle, les travailleuses et travailleurs du sexe de Mumbai, les familles de cirques itinérants en Inde, les nécessiteux et les mourants des organisations caritatives de Mère Teresa. L’accrochage présente également des archives rares réunissant planches-contacts, notes personnelles et correspondance officielle.

© Mary Ellen Mark. Manifestation féministe, New York, 1970.
Avec l’aimable autorisation de The Mary Ellen Mark Foundation / Howard Greenberg Gallery

« FINIR EN BEAUTÉ », PAR SOPHIE CALLE

L’artiste conceptuelle, photographe et réalisatrice française réinvestit le souterrain des cryptoportiques. Celle qui depuis la fin des années 1970 entremêle l’image, la narration et l’autobiographie continue de brouiller les frontières entre l’intime et le public, la réalité et la fiction, l’art et la vie. Elle présente ici l’exposition « Finir en beauté », dont un ouvrage est paru chez Actes Sud. Dans cette présentation, Sophie Calle raconte les désagréments subis par l’une de ses séries photographiques, qui ont démarré dans sa réserve, entre dégâts des eaux et moisissures, et se sont poursuivis aux Rencontres d’Arles, lieu de préservation par excellence. Pour cette 55e édition, elle soumet ainsi les clichés de ce fameux tirage Les Aveugles à un processus naturel de décomposition dans la fraîcheur humide des soubassements de la ville.

© Sophie Calle. Finir en Beauté, 2024. Avec l’aimable autorisation de Anne Fourès.

THE GREEN RAY, PAR MUSTAPHA AZEROUAL ET MARJOLAINE LÉVY

Le premier est artiste, la seconde est curatrice. Tous deux s’associent pour présenter The Green Ray, un corpus d’images abstraites qui cherche à donner une forme à la lumière et à la couleur à travers divers territoires. Cette série représente le prolongement de la pratique de Mustapha Azeroual, qui sonde depuis des années les « caractéristiques étymologiques du verbe ‟photographier” : écrire avec la lumière ». Ici, il a travaillé avec des marins et des navigateurs chargés d’assurer les prises de vue. Il s’agit donc d’images uniques enregistrant la couleur du ciel lors des levers et couchers du soleil en haute mer, sur les océans Arctique, Indien et Pacifique, ainsi que sur la mer Méditerranée. De ces premiers clichés, il a créé des abstractions, reproduites ensuite sur des supports lenticulaires. À travers ces oeuvres, Mustapha Azeroual et Marjolaine Lévy veulent « dénoncer de manière subtile une suractivité humaine » et « montrer qu’une autre voie de l’abstraction est possible ». Ils offrent ainsi un regard sensible et poétique sur la dégradation du monde, l’inscrivant dans les problématiques et les enjeux de la société.

© Mustapha Azeroual. Gradiant 5, Antarctique, PONANT, 2024.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste / BMW ART MAKERS.

« QUELLE JOIE DE VOUS VOIR »

Cette exposition est produite par la maison d’édition Aperture, avec le soutien de Kering – « Women In Motion » et de la fondation franco-japonaise Sasakawa. « Quelle joie de vous voir » (« I’m So Happy You Are Here ») fait la lumière sur l’importance et le travail photographiques de plus de 25 artistes japonaises de générations différentes. Des années 1950 à nos jours, l’accrochage agit à la fois comme complément et contrepoint aux narrations et aux canons établis de l’histoire de la photographie nippone. Et par extension, de celle du médium en général, dominé par la gent masculine.
Trois thématiques majeures ponctuent l’événement : l’observation du quotidien, les perspectives critiques sur la société japonaise, notamment les rôles imposés aux femmes, et les expérimentations et extensions de la forme photographique. Installations, vidéos et livres viennent renforcer cet éventail d’approches fondées sur le vécu et les points de vue des femmes japonaises sur le monde et la société du pays.

© Kawauchi Rinko. Sans titre, série the eyes, the ears, 2002-2004. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Aperture.

« HEAVEN AND HELL », PAR NHU XUAN HUA ET VIMALA PONS

Le travail des deux artistes parisiennes propose une exposition hybride, entremêlant performance et photographie, avec pour sujet la maison comme premier univers. Avec « Heaven and Hell », la sélection d’oeuvres représente des fragments de ces habitations réelles ou oniriques qu’elles ont « rêvé d’habiter » ou dans lesquelles elles ont trouvé « abri ». Ici, les murs sont rompus pour révéler des « récits de réalités transformées ».

En leur sein, des personnages vivent et évoluent, inspirés par des héroïnes existantes ou fictionnelles, issues de la pop culture, du sport, du cinéma. Ces modèles vivants coexistent avec un objet qui a une valeur symbolique. Nhu Xuan Hua et Vimala Pons créent ainsi « un lien corps-action / femme-corps », offrant plusieurs niveaux de narrations simultanées pour un vertige poétique en perpétuel mouvement.

© Nhu Xuan Hua et Vimala Pons, Ses clics et ses clacs, 2024.

« LE SPORT À L’ÉPREUVE »

JO oblige ! L’exposition met en lumière un patrimoine photographique inédit, issu des vastes collections du Musée olympique et du musée Photo Élysée à Lausanne. Dans ce long récit visuel, elle sonde l’histoire de la photographie du sport et des Jeux olympiques en particulier. Depuis plus d’un siècle, les grands événements sportifs sont accompagnés d’images. Si la pratique du sport – et le show qui l’accompagne souvent – répond à des règles précises, la mise en scène relayée par les photographes, placés autour du stade, l’est tout autant.

Ces images de performance des athlètes, de compétitions effrénées et, plus largement, de sport-spectacle attirent au fil du temps une foule toujours plus nombreuse. D’autant plus à l’ère du numérique. C’est ce que nous invite à découvrir « Le sport à l’épreuve », retraçant le rôle de la photographie dans la propulsion du sport au sein d’un monde médiatique, économique et politique.

Lothar Jeck, Saut de la barre fixe, 1936.
© Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Photo Elysée / Staatsarchiv Basel-Stadt

« FASHION ARMY »

Le commissaire d’exposition Matthieu Nicol présente ici une sélection d’images, tirée d’une archive récemment déclassifiée du centre de recherche et développement de l’armée américaine. La période couvre la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1990. Il n’existe aucune trace de sa circulation. Le curateur invite ainsi le visiteur à supposer l’intention de ce fonds photographique, nourri de « prototypes d’uniformes et d’équipement des soldats » entre trench-coats, tissu chino et motifs camouflage. Ce catalogue d’images travaillées prend dès lors des allures de simulacre où les modèles « aux poses contraintes, aux sourires crispés et aux regards maladroits » étrangement familiers interpellent. Une collection insolite qui vient renseigner sur la relation entre la recherche militaire et ses applications civiles, notamment dans le domaine de la mode.

© Vêtement, camouflage, désert (3 modèles) sur le terrain, 1972
© Équipement, lunettes de protection, flash aveuglant, 1974

« WAGON-BAR »

Place ici à la restauration ferroviaire. Dans l’histoire de cette prestation de services, les voyageurs ont commencé à profiter des repas servis à bord des trains à partir des années 1860 aux États-Unis, avant que cette pratique ne se généralise dans le monde. En Europe, la Compagnie internationale des wagons-lits fait office de pionnière dans ce domaine. L’exposition « Wagon-bar : une petite histoire du repas ferroviaire » nous propulse ainsi dans son imagerie visuelle à la fois publicitaire et industrielle. Les photographies présentées émanent à la fois des fonds de l’ancienne Compagnie internationale des wagons-lits et du Service Archives Documentation du groupe SNCF. Ces images dessinent ainsi un récit de l’innovation et du design, mais aussi une histoire esthétique et culturelle, tout en devenant les meilleurs témoins de ce pan de l’histoire du XIXe siècle.

© « Sandwich 260 » proposé à bord des TGV, 1981

« LEE FRIEDLANDER FRAMED BY JOEL COEN »

L’exposition de LUMA Arles passe en revue les soixante ans de carrière de Lee Friedlander, légendaire photographe de 89 ans, connu pour sa carrière de documentariste du paysage social américain, sous l’oeil avisé du célèbre cinéaste Joel Coen. Une histoire de collaboration, donc, entre les deux hommes. À travers 70 tirages et un film, cet accrochage invite à saisir l’approche singulière de Joel Coen en matière de composition, dévoilant des affinités avec Lee Friedlander. Tous deux explorent le pouvoir sournois des images entre cadre fragmenté, composition trompeuse, plan disloqué et effet de miroir. Cette présentation, menée par le curateur Matthieu Humery, offre ainsi une véritable mise en abyme cinématographique. « En tant que cinéaste, j’ai aimé l’idée de créer une séquence qui mettrait en évidence l’approche inhabituelle de Lee en matière de cadrage, à savoir son fractionnement, son éclatement, sa répétition, sa fracturation et son regroupement d’éléments en compositions nouvelles et impossibles », écrit Joel Coen dans l’ouvrage homonyme, paru en 2023 aux éditions Fraenkel Gallery / DAP Artbook.

« JEAN-CLAUDE GAUTRAND : LIBRES EXPRESSIONS »

Cette rétrospective au musée Réattu offre une plongée dans l’univers du photographe français, qui fut également commissaire d’exposition, journaliste, historien de la photographie et auteur de nombreux livres sur ses amis Brassaï, Willy Ronis et Robert Doisneau. Jean-Claude Gautrand (1932-2019) fait partie de la première équipe de création des Rencontres d’Arles en 1970, où il expose dès l’année suivante. Son histoire avec le musée Réattu est tout aussi significative. Il fut ainsi un témoin du festival pendant près de cinquante ans. C’est ce que présente l’exposition, évoquant son travail de photographe et sa place d’observateur privilégié de l’histoire de la photographie à Arles. L’événement expose ainsi plus de 200 clichés de 1961 à 2010, appartenant aux collections du musée et des Rencontres d’Arles et à la collection de son épouse Josette Gautrand. Parmi ses séries exposées ? Métalopolis, L’Assassinat de Baltard, Le Galet, Le Jardin de mon père. Une vue à la fois artistique et historique pour un hommage à Arles et aux Rencontres.

© Jean-Claude Gautrand. Paris – Carrefour Pajol-Riquet, 1957. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

« TOUCHER LE SILENCE », PAR GRZEGORZ PRZYBOREK

L’énergie circule sans cesse dans l’oeuvre de cette figure majeure de la photographie polonaise contemporaine. Depuis plus de quarante ans, Grzegorz Przyborek fabrique son univers dans son propre studio situé à Lodz. Il manipule ainsi avec dextérité la crédibilité du médium et l’illusion de l’espace, jouant avec les suspensions d’objets et les silhouettes animales et humaines. Pour lui, la photographie agit comme une documentation d’images soigneusement mises en scène. Exit donc photomontage et autres manipulations numériques. Chacune d’entre elles peut mettre des mois à se réaliser.

L’exposition « Grzegorz Przyborek – Toucher le Silence » retrace dès lors son oeuvre : de la série Portraits, réalisée à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles en 1990, aux plus récentes compositions réalisées entre 2020 et 2022. Elle présente également une quarantaine de dessins, des objets et des sculptures ainsi qu’un film sur son travail, réalisé en partie à Arles en 2019.

© Grzegorz Przybore. Ona z serii Thanatos, 1996. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.


LES RENCONTRES D’ARLES 2024
DU 1ER JUILLET AU 29 SEPTEMBRE
34, RUE DU DOCTEUR-FANTON, ARLES
RENCONTRES-ARLES.COM

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