Cette architecte, née dans le Tyrol et installée à Paris, développe depuis 2013, date de lancement de son agence, un vocabulaire singulier. Portrait.
Au début, il y avait l’histoire de l’art. « Dès mes 13 ans, je suis partie en Interrail en Italie pour visiter les musées – je rêvais notamment des Offices à Florence. J’étais fascinée par la peinture, la composition, la lumière… Finalement, c’est l’architecture qui s’est imposée, car elle permet de relier le geste artistique à la matérialité et à l’espace vécu. Ce regard sur l’histoire de l’art nourrit toujours mon travail au quotidien », raconte celle qui a grandi dans un petit village du Tyrol, en Autriche, entourée de montagnes et de forêts. « Mon enfance était rythmée par le ski. C’était une vie très physique, libre, profondément connectée à la nature », se souvient-elle. « Je vivais au bord de la forêt, dans un environnement sans surveillance constante. Avec les enfants du voisinage, nous passions la plupart de nos journées dehors, à explorer, construire, imaginer. Ce rapport instinctif au paysage, au corps en mouvement, à l’intuition, m’a profondément marquée. Il influence encore aujourd’hui ma manière d’aborder l’architecture – comme une expérience sensible, ancrée dans un lieu. »
Quand on l’interroge sur ses maîtres à penser, la jeune femme ne cite pas les noms habituels comme Le Corbusier, ou encore un certain Josef Hoffmann, que l’on est tenté d’apercevoir dans certaines de ses réalisations mobilières. « Je me sens proche des penseurs phénoménologiques qui interrogent notre rapport sensible au monde, à l’espace et à la mémoire. Cette approche influence profondément ma conception du lieu : pas comme une simple composition formelle, mais comme une expérience à vivre. Umberto Eco m’a aussi marquée, notamment sa manière d’analyser les “vides” – ce qui n’est pas dit mais structure la lecture. En architecture, le vide crée rythme, silence et attente. » Plus tard, elle cite volontiers l’architecte finlandais Eliel Saarinen. « Son œuvre me touche profondément, et notamment cette phrase qui dit : “Always design a thing by considering it in its next larger context”. C’est une leçon d’humilité et de responsabilité : tout projet s’inscrit dans une histoire plus vaste, un tissu social, un paysage. Cela rejette l’architecture comme geste isolé, pour embrasser pleinement sa dimension culturelle, civique et poétique. Dans ma pratique, cela se traduit par une attention portée à toutes les échelles : je dessine le bâtiment, suis les chantiers, et quand c’est possible, je crée aussi le mobilier et les détails d’usage. Cette continuité me permet de créer des espaces cohérents, habités, sensibles. » Pour son ami Mathieu Boncour, ancien directeur de la communication au Palais de Tokyo et désormais directeur de la communication de la Sacem, Katja Pargger développe une pratique « profondément ancrée dans un dialogue entre passé et présent, réhabilitant des savoir-faire oubliés, convoquant l’histoire de l’art et de l’architecture, et tissant des références multiples, à la fois historiques et géographiques. » Loin des effets de mode ou des tendances éphémères, son approche vise une inscription durable dans le temps. Elle accorde une attention particulière aux lignes, aux matières, au vide, à la façon dont les espaces sont habités. Chaque projet naît d’une réflexion sur les usages, avec le souci constant de créer des lieux pérennes, pensés pour durer.
La durabilité, un terme qui a une emprise forte dans la conception du travail de l’architecte. « La durabilité commence par une approche concrète et contextuelle. Nous privilégions les matériaux locaux – pierre, bois, chaux – et collaborons avec des artisans ou entreprises de proximité, chacun ayant un savoir-faire précieux. Sur beaucoup de projets, nous cherchons à réutiliser des matériaux existants. La brique est idéale : elle peut être démontée, réemployée, et vieillit magnifiquement. Par exemple, pour un projet en Sologne, nous avons travaillé uniquement avec des entreprises situées à moins de 50 kilomètres. Faïences, briques, chaux, bois : tout vient du territoire. Cet ancrage local crée une architecture écologique mais aussi plus juste, cohérente et humaine. »
En plus de l’architecture, Katja Pargger officie en tant que designer, et notamment pour la maison de mode Chloé. « J’ai pu transposer mes réflexions architecturales à l’échelle de l’objet. C’était une façon de condenser mes principes : matérialité, sensualité des textures, harmonie des lignes. Les pièces créées ne sont pas de simples meubles, mais des fragments d’espace. Elles prolongent une idée d’architecture domestique douce et enveloppante, où forme et geste sont liés. Les canapés, composés de deux demi-cercles en cuir marron, évoquent un conversation pit intime et chaleureux, jouant sur la tension entre courbes accueillantes et rigueur formelle d’une architecture moderniste. La table basse, réalisée à la main en céramique laquée noire, crée un contraste saisissant avec la douceur et la chaleur du cuir. Le banc et le tabouret, avec piètement en inox fin et assise en cuir marron, jouent aussi sur la dialectique entre légèreté métallique et sensualité des matières naturelles. »
Autre corde à son arc, ces « items », qui sont bien éloignés de l’univers de l’architecture, comme cet étonnant kimono en latex. « Ce n’est ni une ligne d’objets, ni une œuvre d’art au sens strict, mais une expression personnelle. C’est une manière de donner corps à des intuitions et matières qui m’inspirent, sans répondre à une commande ou fonction précise. […] Cela fait des années que je rêve de créer un kimono, mais faute de temps je l’avais laissé de côté. Pour un shooting récent, c’est grâce à Aurore Lameyre que ce projet a vu le jour. Le latex y est vivant, cohérent avec la matière, mais aussi avec l’idée de ne pas faire un vêtement ordinaire, plutôt un prototype. » Un univers passionnant, qui oscille entre luxe, sophistication, durabilité et innovation.
Lisa Agostini