À la fin des années 1940, l’architecture est à l’heure de la modernité. Le verre, le béton et l’acier sont alors de rigueur. Une esthétique que les puissances européennes vont amener avec elles dans leurs colonies. Outil politique servant à asseoir la position de l’Europe, ce « modernisme tropical » va également incarner, dans la pierre, le symbole d’un futur post colonialiste. Une épopée entre le Ghana et l’Inde, que se charge de nous raconter le Victoria and Albert Museum de Londres à travers une exposition événement.
C’est avec les deux architectes britanniques Jane Drew et Maxwell Fry que débute l’exposition. Tous deux persuadés que l’utopie portée par l’architecture moderne construira un monde meilleur, ils s’installent dans l’actuel Ghana au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Profitant d’un boom de la construction en Afrique de l’Ouest, ils réussissent à adapter le modernisme européen aux conditions tropicales chaudes et humides. Leurs bâtiments, confortables, sont surtout pensés pour les administrateurs britanniques, tandis que ceux conçus pour les Africains étaient destinés à contrecarrer les velléités d’indépendance, affirme le Victoria & Albert Museum.
L’institution muséale met également en lumière les architectes africains, dont le travail n’est reconnu que depuis peu, à travers les trajectoires de deux Ghanéens : Theodore Shealtiel Clerk et Peter Turkson.
Elle évoque aussi la nouvelle existence de cette architecture, une fois le temps de la décolonisation achevé. Nous suivons toujours Jane Drew et Maxwell Fry qui, en 1950, sont recrutés par Jawaharlal Nehru, premier Premier ministre indien, afin d’édifier la nouvelle ville moderne du pays, Chandigarh. Un certain Le Corbusier va rejoindre le projet, y voyant l’occasion de bâtir sa ville idéale. Devant l’insistance pour que les architectes emploient des locaux et non pas les membres de leurs propres bureaux, plusieurs Indiens vont se former à l’occasion de ce projet. Ces mêmes architectes et artistes, des personnalités comme Giani Rattan Singh, Aditya Prakash, ou Nek Chand, vont contribuer à construire cette Inde moderne au lendemain de la colonisation.
En Inde, le modernisme tropical prospérera pendant une vingtaine d’années. Une période durant laquelle deux camps s’opposeront : d’un côté, les modernistes, aspirant à une approche internationale et avant-gardiste de l’architecture, et de l’autre, des « revivalistes », souhaitant une architecture qui évoque plus clairement l’Inde. Une opposition forte qui aboutira à des demandes claires, de la part de certains responsables, d’établir une politique en la matière, afin de favoriser une esthétique plus traditionnelle.
Une exposition nécessaire, qui souligne la dimension éminemment politique de l’art qu’est l’architecture.
« Tropical Modernism: Architecture and Independence » Victoria and Albert Museum South Kensington
Cromwell Road, Londres (Angleterre)