UN OEIL DE PHOTOGRAPHE AU SERVICE DE L’ARCHITECTURE
Cet Italien basé à Barcelone, à la fois architecte et photographe, a immortalisé sur papier glacé les plus grands de notre époque :
Herzog & de Meuron, Rafael Moneo, Enric Miralles, mais aussi Álvaro Siza, figure tutélaire de l’architecture portugaise. En juin prochain paraîtra d’ailleurs aux éditions Phaidon un ouvrage revenant sur l’oeuvre du Prix Pritzker 1992, composé à deux voix par le photographe et l’architecte. Une bonne excuse pour rencontrer Duccio Malagamba et évoquer sa carrière.
Été 1984. Alors étudiant en architecture, le jeune Duccio Malagamba passe ses vacances au Portugal. Une fois arrivé à Porto, il s’arrête sur le front de mer, dans les faubourgs de la ville. Il y fait l’une des rencontres les plus déterminantes de sa vie : Álvaro Siza. Non pas l’homme, mais son architecture, qu’il découvre à travers les piscines de Leça da Palmeira, alors remplies d’enfants et embrumées par les vagues de l’océan. Une « ode à l’architecture », précise-t-il.
Ébloui par le peu de ressources mises en oeuvre dans cette réalisation, par l’adaptation du contexte aux intérêts humains tout en délicatesse, il décide quelques années plus tard de ne pas poursuivre sa carrière d’architecte pour se consacrer plutôt à la photographie d’architecture. Une nouvelle carrière qui débute au début des années 1990 et qui lui donne l’occasion de rencontrer, en chair et en os, ce grand maître de l’architecture. Une rencontre qui aboutit en 2024 à cet ouvrage singulier : Before / After – Siza / Malagamba.
DANS CET OUVRAGE, S’AGIT-IL DE VOTRE REGARD SUR SON TRAVAIL OU DE VOS DEUX REGARDS ?
C’est indéniablement mon interprétation de son travail. Depuis le tout début de notre collaboration, il a été très rare de recevoir de sa part une instruction concernant la façon dont je devais aborder un projet. En fait, la seule contrainte touchant ma prise de vue est son aversion pour les clichés au crépuscule ou en soirée, avec les bâtiments éclairés… En dehors de cela, je me sens totalement libre de transmettre ma propre lecture et interprétation de ses projets.
EST-CE QUE SON ARCHITECTURE EST FACILE À PHOTOGRAPHIER ?
L’architecture d’Álvaro Siza peut paraître simple à première vue, car elle repose sur des gestes subtils et réfléchis. Si une étude photographique superficielle de ses bâtiments n’était pas abordée de façon complexe, elle ne réussirait pas à transmettre l’élégance poétique inhérente à nombre de ses décisions de conception. D’après mon expérience, la seule façon de se rapprocher de son design doux et inspiré est de passer du temps dans les bâtiments à la recherche de la lumière et de l’angle parfaits.
POURRIEZ-VOUS REVENIR SUR LA GENÈSE DE TROIS AUTRES DE VOS PROJETS ?
Les projets suivants marquent une rupture nette avec mon activité principale qui consiste principalement à diffuser les nouvelles interventions d’architectes prestigieux aux amateurs d’architecture. Ici, ce sont les aspects les plus formels et intimes de mon travail qui occupent le devant de la scène.
HABANA DECÒ
Lors de ma première visite à La Havane en tant que touriste, j’ai été profondément impressionné par la beauté de son architecture Art déco. Malgré le mauvais état de conservation du patrimoine architectural de la ville, les bâtiments ont gardé une extraordinaire capacité à évoquer les temps de splendeur qu’a connus la capitale cubaine dans les années 1920, 1930 et 1940. Cette capacité de l’architecture à fasciner restait intacte et était curieusement renforcée par la présence des voitures de la même époque qui circulent encore dans la ville. J’ai donc décidé de retourner quelques années plus tard à La Havane où j’ai passé un mois à photographier les réalisations architecturales que je trouvais les plus intéressantes. L’idée était de publier un livre, et j’ai même chargé l’écrivaine cubaine Zoé Valdés d’écrire un prologue. Cependant, le projet n’a pas encore vu le jour…
SOMBRAS EN LA FAUP
À l’occasion de la publication d’un livre consacré à la faculté d’architecture de l’université de Porto (FAUP), Adalberto Dias, professeur et chercheur à la FAUP, m’a demandé de faire une lecture personnelle de cette intervention architecturale. Pour une raison quelconque, je n’avais pas encore photographié ce projet et, au moment où j’ai reçu la commande, les bâtiments étaient déjà assez détériorés à cause du manque d’entretien. C’est pour cette raison que j’ai décidé de travailler en noir et blanc, en privilégiant les jeux d’ombre créés par les différents surplombs et la proximité des différents volumes. Cette subtile danse du « clair-obscur » sur les façades s’est révélée capable de transmettre la poésie de ce projet signé Siza, sans que l’oeil soit distrait par son mauvais état de conservation.
SCULPTURES EN ACIER À MILAN
La construction d’un gratte-ciel est généralement très complexe d’un point de vue technologique, mais dans le cas de la tour Unipol de Milan, conçue par Mario Cucinella Architects, la sophistication de la structure atteint des sommets vertigineux. Impressionné par les éléments structurels imposants de cette intervention architecturale, j’ai décidé de représenter ces pièces comme s’il s’agissait de sculptures cyclopéennes. Grâce à l’abstraction inhérente à la photographie noir et blanc, ces éléments gigantesques acquièrent une présence fascinante et perturbante.
Duccio Malagamba ne se contente pas de photographier un bâtiment ou de saisir l’essence d’un architecte. Il se saisit de ses mille et une facettes pour nous emmener dans une autre dimension, magnifiant la délicatesse et les détails singuliers qui constituent l’identité même d’une oeuvre architecturale.
BEFORE/AFTER :
SIZA/MALAGAMBA
PUBLIÉ PAR PHAIDON
PHAIDON.COM
DUCCIOMALAGAMBA.COM
