BARBRO ÖSTLIHN : ENTRE LES FAÇADES, LE TEMPS SUSPENDU D’UNE PEINTRE MODERNE

En traversant les salles tout juste rénovées de l’Hôtel de Marle, le regard s’attarde sur des toiles monumentales, fragments urbains aux allures de partitions silencieuses. C’est là, dans cet écrin architectural restauré avec une minutie presque archéologique, que se déploie la première rétrospective française de Barbro Östlihn (1930-1995), présentée à l’Institut suédois du 28 mars au 20 juillet 2025.

L’artiste, méconnue du grand public et pourtant pilier discret des avant-gardes américaines et européennes, a développé un langage pictural inclassable. Ni tout à fait pop, ni totalement abstrait, son art s’enracine dans les murs, les solitudes urbaines, les interstices. Quand elle arrive à New York en 1961 avec son mari Öyvind Fahlström, elle pose ses valises dans l’ancien loft de Rauschenberg, au sud de Manhattan. Un lieu où la création semble résonner dans les murs.

« Elle était fascinée par l’architecture des villes, par ce que les bâtiments racontent sans parler », explique la commissaire Annika Öhrner. De jour, Barbro photographie. De nuit, elle peint. Ce ne sont pas les foules qui l’interpellent, mais les structures fixes : échafaudages, usines, stations-essence, immeubles dénommés par leur adresse.

Son style est fait de formes géométriques décomposées, de mosaïques abstraites, de couleurs sourdes et de jeux d’échelle. Les œuvres exposées — une vingtaine de grands formats et un ensemble de photographies, esquisses et documents d’archives — tracent une trajectoire sensible, de New York à Paris en passant par Stockholm.

Dans l’exposition, les toiles « Gas Station » (1963) ou « Pantbank » (1962) apparaissent comme des plans de coupe métaphoriques d’une ville qu’elle décortique sans jamais la théâtraliser. On pense à la rigueur de Donald Judd, à la mélancolie de Hopper, sans que jamais Östlihn ne semble revendiquer un courant. Elle est ailleurs, dans une poésie du fragment, où le silence vaut manifeste.

« Ce qui m’a frappée, c’est sa capacité à traduire l’architecture en sensation », poursuit Annika Öhrner. De fait, le rapport au paysage urbain est chez Östlihn une forme de réflexion intime : la ville comme miroir de soi, comme surface de projection d’une solitude habitée. Son travail résonne particulièrement aujourd’hui, à l’heure où les artistes questionnent à nouveau les frontières entre l’intime et le monumental.

À partir de 1963, elle expose dans des galeries de renom à New York. Elle collabore avec Fahlström sur des projets collectifs, participe à la Biennale de Venise en 1966, fréquente Donald Judd, Barbara Rose, Marian Goodman… Pourtant, elle demeure dans l’ombre. Sa trajectoire semble guidée par une discrétion assumée, une distance avec les jeux de l’art officiel.

Lorsque le couple se sépare, elle rejoint Paris en 1976 et y poursuit son travail avec une constance silencieuse. Ses toiles se font plus abstraites, mais conservent cette obsession du cadre, du mur, du motif architectural. Elle est représentée par la galerie baudoin lebon, et continue d’interroger la mémoire des lieux par la peinture.

Aujourd’hui, le regard porté sur Barbro Östlihn change. En Suède, la grande exposition du Moderna Museet en 1984 avait amorcé une relecture. La France, elle, la découvre. Cette rétrospective, organisée dans un Institut suédois qui fut lui-même au cœur des circulations artistiques franco-suentiques du XXe siècle, agit comme une réparation douce.

Dans un parallélisme discret mais révélateur, l’exposition dialogue avec la présentation des objets graphiques de Pontus Hultén, au Grand Palais, comme si ces deux visions de l’Europe artistique d’après-guerre se répondait à distance. On y retrouve la même volonté de déborder les cadres, de créer des ponts entre disciplines, entre pays, entre regards.

L’exposition de l’Institut suédois est une invitation à reconsidérer la notion de chef-d’œuvre : ici, le monument est discret, la révolution silencieuse. Et c’est précisément cette retenue qui touche, qui imprime durablement la rétine.

Barbro Östlihn
28 mars – 20 juillet 2025
Institut suédois, 11 rue Payenne, Paris 3e 

institut-suédois.org 

barbroostlihn.com 

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