TCHÈQUE CARAVANE

Dans Karavan, Anna Gleisnerová joue une mère qui part en road trip avec son fils handicapé. Une histoire inspirée de la vie de la réalisatrice, Zuzana Špidlová.

Tu joues une mère forte, mais qui connaît aussi l’échec. Comment as-tu préparé ce personnage pour lui rendre justice ?

Comment je me suis préparée ?
Eh bien, j’ai trois enfants (rires). Et je pense que le film parle de la maternité en soi. Et ça, c’est difficile. C’est très complexe. C’est de l’amour et de la haine pendant de nombreuses, nombreuses années, très profondément à l’intérieur et à l’extérieur et tout ça. Et donc, étant moi-même mère, je sais que ça comporte des bas, vraiment, des bas très profonds, où tu veux juste t’enfuir, mais aussi ce que je ne savais pas, c’est ce que c’est que d’être la mère de quelqu’un qui a besoin de toi chaque jour, 24 heures sur 24, physiquement, mentalement, que tu ne peux pas te reposer, que tu ne peux pas vraiment être avec toi-même, à aucun moment. Et ça, je l’ai appris de Zusana, parce que c’est son histoire. C’est sa vie. Et j’ai passé du temps avec elle et avec son vrai fils, le vrai David pendant la préparation. Et aussi, on a passé beaucoup de temps avec David, l’acteur. Et voilà.

Tu joues avec un acteur neurodivergent. Comment c’était ? Est-ce qu’il y a eu un moment où tu as voulu fuir comme ton personnage ?

Fuir le plateau ? Non. Non. Non (rires). Tu sais, c’était crucial de trouver le bon David. Et, tu sais, c’était toujours un peu incertain : on ne savait pas à quoi s’attendre. Alors on était tous nerveux, genre : comment va-t-on travailler ? Combien de temps cela va-t-il prendre ? Est-ce qu’il va vraiment pouvoir jouer ? Répéter ? Comprendre ? Est-ce que ça va être mauvais pour lui ou pas ? Et puis… tu sais, c’est une star née. Il a une lumière immense en lui. C’est un sportif. Il est très ambitieux. Il est compétitif. Et tout ce qu’on lui a demandé de faire, il l’a fait. Et il jouait de mieux en mieux. Et ses capacités sont… il n’a pas de limites. C’est, tu sais, un médaillé d’or. Chaque week-end, il gagne quelque chose. C’est un champion de la République tchèque, et même en Europe, dans plein de sports. C’est juste une superstar. C’est aussi un très bon acteur, parce qu’il joue un enfant beaucoup plus handicapé qu’il ne l’est réellement. Par exemple, dans le film, il ne parle pas du tout. Il a des crises, des handicaps… Et David, il n’a pas ça. Il a vraiment créé un personnage. 

La plupart des acteurs ne sont pas neurodivergents, bien sûr, mais ils sont très sensibles, ou je crois que tu dois être très sensible pour être acteur, et les personnes neurodivergentes le sont. Donc peut-être que ça aide beaucoup. Peut-être que tout le monde devrait l’être.

Tu sais, il est vraiment entré dans ma vie, et je pense qu’il n’en sortira jamais. Genre… je l’appelle… c’est mon quatrième enfant maintenant. Et quand je suis rentrée du tournage, j’ai dit : les enfants, vous avez un nouveau frère. Vous savez, c’est David. C’est votre frère. Vraiment. Et il est… il est magique. Je l’appelle « une licorne ».
Être avec lui, c’est toujours comme une lumière. Elle brille sur toi et elle t’aide, et c’est toujours beau, pur. Et jouer avec lui, c’est… c’est un défi. Et je pense qu’il nous a tous rendus meilleurs, parce que, tu sais, il est tellement… sincère. Il n’y a pas de jeu. Pas de façade. Donc je pense qu’il est la bonne étoile du film.

Parfois, on demande aux acteurs comment ils sortent d’un rôle. Pour toi, on dirait que tu ne sortiras jamais vraiment de celui-là.

Non. Je ne pense pas. Le tournage en Calabre, c’était très intense et, je dirais, épuisant aussi parce que, tu sais, les conditions, le climat, le sujet… tu connais « Le conte du colibri et de la rose ? »

Non, je ne pense pas.

Donc, la rose est blanche, mais elle désire ardemment devenir rouge. Et la seule façon de devenir rouge, c’est par le sang et l’amour. Et, il y a un petit oiseau, et il aime la rose. Donc il décide qu’il chantera pour elle et pousse son cœur contre son épine. Et alors qu’il meurt, la rose devient rouge et magnifique, et il meurt, mais son amour se transforme en quelque chose. Je pense que c’est un peu cette relation que j’ai eue avec la Calabre, parce que pour moi, je ne sais même pas pourquoi, mais c’était un peu traumatisant parce que c’était intense, différent, et pas seulement triste pour ma famille et tout. Et puis, toute la douleur, et… je ne sais pas, une sorte de tristesse, un sentiment de fin de saison, tu vois… Ça a créé un lien pour toujours. Avec la Calabre, avec l’Italie, avec les gens, avec l’équipe. C’est un film spécial.

Alors, changeons un peu de sujet, moins dramatique. Mais peut-être une question dramatique… Quelle est la chose la plus folle que tu aies faite à Cannes depuis que tu es ici ?

La chose la plus folle que j’ai faite à Cannes ? Payer l’addition au Carlton, peut-être. (Rires). Tu sais, je suis ici avec Karavan, mais je suis aussi ambassadrice pour L’Oréal. Donc je suis venue pour faire le tapis rouge avec L’Oréal, et il s’est avéré que la montée des marches de notre film était juste après et le protocole interdit de monter deux fois les marches, donc mon cœur était brisé parce que mon équipe était derrière moi, et je ne pouvais pas y retourner pour être avec eux. Et sur le chemin, j’ai dit : on doit le faire, s’il vous plaît. J’ai négocié avec tout le monde et finalement on m’a autorisée à le faire. C’était fou et beau.

Alors, tu es une star ?

Oui. Oui. (Rires)

Ils m’ont dit que tu étais la Isabelle Huppert tchèque.

Oh, je l’adore. Elle est forte. Elle est magnifique. C’est gentil. Et est-ce vrai qu’elle possède un petit théâtre, un cinéma ?

Oh, peut-être. Je ne sais pas ? Parmi tous les gens avec qui tu as joué, peut-être à l’international ou non, qui t’a le plus inspirée ?

Eh bien, David.
C’est… oui. Numéro un. Mais, j’ai un gros crush, tu sais, de profonds sentiments.
J’ai tourné un film en décembre et janvier en Grande-Bretagne avec Bill Nighy. Et cet homme est absolument… tout. Il est tellement élégant, tellement gentil, tellement doux, tellement drôle, tellement intelligent, sarcastique, merveilleux à côtoyer. Et on avait toutes les scènes ensemble. On a vraiment passé beaucoup de temps ensemble. On a beaucoup marché. On a beaucoup mangé ensemble. Et on est toujours en contact. Donc, c’est… il est très inspirant. Et aussi son mode de vie, son attitude, son style… c’est vraiment quelque chose que j’admire.

PAR DINE DELCROIX ET FRANÇOIS BERTHIER

Des experiences et une culture qui nous définissent

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