Depuis quelques années, Jonás Trueba s’est fait une place de choix dans le sillage des cinéastes du quotidien. Avec Septembre sans attendre, il confirme son talent à filmer avec humour et tendresse des émotions simples et universelles, rarement traitées avec autant de justesse.


C’est en 2020, avec Eva en août, que le monde a véritablement découvert le cinéma de Jonás Trueba. C’était pourtant déjà son cinquième long métrage, mais le premier à être distribué au-delà des frontières espagnoles. Avec son air d’éternel jeune homme, on pourrait considérer le cinéaste comme un débutant. Pourtant, le fils de Fernando Trueba, réalisateur comme lui, a déjà 42 ans et neuf longs métrages à son actif. En quelques années, il a aussi su rassembler une importante communauté d’admirateurs, comme en témoigne le monde qui se pressait au théâtre de l’hôtel Marriott de Cannes en mai dernier pour découvrir son nouveau film, Septembre sans attendre, en première mondiale à la Quinzaine des Cinéastes.
Présenté souvent comme un cinéaste « rohmérien » en raison de son goût pour les sentiments simples et universels, filmés avec douceur et intelligence, le cinéaste espagnol partage aussi avec le maître de la Nouvelle Vague un goût certain pour les scènes d’été. Il y a la torpeur d’un mois d’août à Madrid dans Eva en août, les après-midis dans le jardin d’un couple de néoruraux dans Venez voir (2022), ou un concert en extérieur pour fêter les derniers jours du beau temps dans Septembre sans attendre.
Ce dernier film s’apparente par son sujet à une comédie de remariage, genre très populaire du cinéma hollywoodien classique dans lequel des couples se séparent puis se retrouvent – La Dame du vendredi de Howard Hawks (1940), Cette sacrée vérité de Leo McCarey (1937), etc. Ici, Jonás Trueba nous amène à la rencontre d’un couple qui vit depuis longtemps ensemble. Pour tous leurs amis, ils sont le couple parfait, éternel. Pourtant, Ale (interprétée par Itsaso Arana, collaboratrice de longue date de Trueba, passée à la réalisation en 2023 avec Les filles vont bien) et Alex (Vito Sanz, déjà présent dans Venez voir et Eva en août) ont décidé de se séparer. Une décision prise d’un commun accord, et ils en sont plutôt heureux. À tel point qu’ils ont décidé de le célébrer et d’organiser une grande fête de séparation, ce qui laisse amis et famille plutôt dubitatifs.
Avec cette comédie de moeurs, Jonás Trueba s’autorise quelques effets de montage aussi surprenants que drôles. Un exercice inattendu pour celui qui était plutôt habitué à un cinéma naturaliste. Mais en réalité, le cinéaste ne s’éloigne pas pour autant du réalisme quotidien qui a fait sa marque de fabrique, car ces effets de style sont justifiés dans le scénario. Alex et Ale travaillent dans le cinéma. Lui est acteur, elle, réalisatrice. Elle est justement en train de monter un film dans lequel il tient le rôle principal. Habilement, Jonás Trueba fait passer certaines scènes de Septembre sans attendre, et donc de la vie quotidienne du couple, pour des séquences qui apparaissent en cours de montage du film d’Ale. Plutôt que de perdre le spectateur, ce jeu sur le réel et la fiction nous permet surtout de nous rappeler à quel point les histoires de Jonás Trueba s’inspirent de sa propre vie, fidèle au dicton « on ne parle bien que de ce qu’on connaît le mieux ». Une devise qui s’applique à tout son cinéma, mais qui ne l’empêche pas pour autant d’avoir une portée universelle.
Les personnages de ses films ne vivent pas de moments spectaculaires, d’expériences exceptionnelles. Mais ils aiment, s’ennuient, désirent, se questionnent. Autant d’émotions si difficiles à représenter au cinéma, et qui pourtant occupent notre quotidien. L’air de rien, en donnant toujours à ses films une microhistoire, pas grand-chose, presque une anecdote, Jonás Trueba les saisit parfaitement et réussi ainsi à nous émouvoir au coeur, sans que l’on puisse toujours comprendre la source de cette émotion. Les films de Jonás Trueba sont donc des choses simples, comme un verre en terrasse un soir d’été, comme un air familier de musique à la radio, comme les premiers pas dans la mer lorsqu’il fait chaud. Des moments ordinaires, qui font la vie même.
SEPTEMBRE SANS ATTENDRE DE JONÁS TRUEBA
EN SALLES LE 28 AOÛT 2024